LA PORTE ETROITE 73
L'été fuyait. Déjà la plupart des champs étaient vides, où la vue plus inespérément s'étendait. La veille, non : l'avant-veille de mon départ, au soir, je descendais avec Juliette vers le bosquet du bas-jardin.
— Qu'est-ce que tu récitais hier à Alissa ? me dit-elle.
— Quand donc ?
— Sur le banc de la marnière, quand nous vous avions laissés derrière nous. . .
— Ah !... quelques vers de Baudelaire, je crois.
— Lesquels ?... Tu ne veux pas me le dire ?...
— Bientôt nous plongerons sous les froides ténèbres commençai-je d'assez mauvaise grâce ; mais elle, m'inter- rompant aussitôt, continua d'une voix tremblante et changée :
— Adieu ! vive clarté de nos étés trop courts !
— Eh quoi ! tu les connais ? m'écriai-je extrêmement surpris. Je croyais que tu n'aimais pas les vers...
— Pourquoi donc ? Est-ce parce que tu ne m'en récites pas ? dit-elle en riant, mais un peu contrainte... Par moments tu semblés me croire complètement stupide.
— On peut être très intelligent et n'aimer pas les vers. Jamais je ne t'en ai entendu dire ou tu ne m'as demandé d'en réciter.
— Parce que Alissa s'en charge... Elle se tut quel- ques instants, puis brusquement :
— C'est après-demain que tu pars ?
— Il le faut bien.
— Qu'est-ce que tu vas faire cet hiver ?
— Ma première année de Normale.
— Quand penses-tu épouser Alissa ?
— Pas avant mon service militaire. Pas même avant
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