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la nouvelle revue française

moi de lui sourire et de lui tendre la main. Elle garde ma main dans l'une des siennes et de l'autre caresse ma joue.

— Comme ta mère t'habille mal, mon pauvre petit !... Je portais alors une sorte de vareuse à grand col, que ma tante commence de chiffonner.

— Les cols marins se portent beaucoup plus ouverts ! dit-elle en faisant sauter un bouton de ma chemise. — Tiens ! regarde si tu n'es pas mieux ainsi ! — et, sortant son petit miroir, elle attire contre le sien mon visage, passe autour de mon cou son bras nu, descend sa main dans ma chemise entr'ouverte, demande en riant si je suis chatouilleux, pousse plus avant... J'eus un sursaut si brusque que ma vareuse se déchira ; le visage en feu, et, tandis qu'elle s'écriait :

— Fi ! le grand sot ! — je m'enfuis ; je courus jusqu'au fond du jardin ; là, dans un petit citerneau du potager je trempai mon mouchoir, l'appliquai sur mon front, lavai, frottai mes joues, mon cou, tout ce que cette femme avait touché.


Certains jours Lucile Bucolin avait “sa crise”. Cela la prenait tout à coup et révolutionnait la maison. Miss Ashburton se hâtait d'emmener et d'occuper les enfants ; mais on ne pouvait pas, pour eux, étouffer les cris affreux qui partaient de la chambre à coucher ou du salon. Mon oncle s'affolait ; on l'entendait courir dans les couloirs, cherchant des serviettes, de l'eau de cologne, de l'éther ; le soir, à table où ma tante ne paraissait pas encore, il gardait une mine anxieuse et vieillie.

Quand la crise était à peu près passée, Lucile Bucolin appelait ses enfants auprès d'elle ; du moins Robert et