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la nouvelle revue française

Vautier avait eu deux enfants ; elle commençait à redouter pour eux l'influence de cette sœur adoptive dont le caractère s'affirmait plus bizarrement de mois en mois ; puis les ressources du ménage étaient maigres... tout ceci, c'est ce que me dit ma mère pour m'expliquer que les Vautier aient accepté la demande de son frère avec joie. Ce que je suppose au surplus, c'est que la jeune Lucile commençait à les embarrasser terriblement. Je connais assez la société du Hâvre pour imaginer aisément le genre d'accueil qu'on fit à cette enfant si séduisante. Le pasteur Vautier, que j'ai connu plus tard doux, circonspect et naïf à la fois, sans ressources contre l'intrigue et complètement désarmé devant le mal — l'excellent homme devait être aux abois. Quant à Madame Vautier, je n'en puis rien dire ; elle mourut en couches à la naissance d'un quatrième enfant, celui qui, de mon âge à peu près, devait devenir plus tard mon ami...


Lucile Bucolin ne prenait que peu de part à notre vie ; elle ne descendait de sa chambre que passé le repas de midi ; elle s'allongeait aussitôt sur un sofa ou dans un hamac, demeurait étendue jusqu'au soir et ne se relevait que languissante. Elle portait parfois à son front, pourtant parfaitement mat, un mouchoir, comme pour essuyer une moiteur ; c'était un mouchoir dont la finesse m'émerveillait et l'odeur qui semblait plus un parfum de fruit que de fleur ; parfois elle tirait de sa ceinture un minuscule miroir à glissant couvercle d'argent qui pendait à sa chaîne de montre avec divers menus objets ; elle se regardait, d'un doigt touchait sa lèvre, cueillait un peu de salive et s'en mouillait le coin des yeux. Souvent elle tenait un