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NOTES 95

Mais le plus important, dans un livre comme celui-ci, c'est qu'il tend à résoudre le grand problème actuel de l'art qui est de retrouver la communion de l'artiste et de la foule. Faute de cette communion, ce que tente l'artiste français depuis cin- quante ans, c'est de ravir le lecteur à lui-même en lui découvrant soit un aspect inconnu du monde, soit le monde extérieur et intérieur sous un aspect imprévu. D'où la course à l'originalité et la contrainte pour le lecteur de changer de couleur devant chaque écrivain, de devenir un lecteur-caméléon à l'usage d'écri- vains-uniques. D'où par suite l'abîme qui est creusé entre le créateur et le public, et la vaine recherche du pont qui leur per- mettrait de se relier. «Civilisation révolutionnaire», préconisent les uns, « patriotisme », « christianisme », « unanimisme », proposent les autres. Du moins de tous côtés, le problème est-il posé ; et les meilleurs, dans tous les camps littéraires, se rendent compte de la nécessité de cet unisson entre l'artiste et la masse.

Dans aucun pays peut-être, pareille exigence n'est plus diffi- cile à réaliser que chez nous, où trois siècles de littérature de cour et de salon ont laissé tarir, sans y puiser, toutes les sources d'art populaire. Le romantisme lui-même qui, dans une certaine mesure, a cherché à « aller au peuple », à retrouver les grandes émotions unanimes du moyen-âge, au lieu de puiser dans la tradition orale encore vivante, s'est uniquement inspiré de la tradition écrite des vieilles chansons de gestes, depuis trop longtemps refroidies pour qu'il fût possible de les revivifier.

Aujourd'hui, c'est des spectacles urbains, du machinisme, des dernières découvertes de la science que l'on cherche le plus souvent à faire jaillir l'étincelle unanime. Il reste à se demander si des créations trop récentes constituent un matériel artistique déjà capable de fournir des émotions collectives, si des soucis trop actuels peuvent se transposer du terrrin de la politique à celui de l'art, si, pour devenir matériel artistique, objets, senti- ments, idées ne doivent pas d'abord s'être lontemps patines, éprouvés au plus secret et au plus inconscient de milliers et de milliers d'âmes d'où les extrait un jour l'artiste pour leur don- ner forme et éclat. De quoi a joué un Baudelaire, de quoi un Dostoïevski sinon des sentiments chrétiens accumulés depuis dix-neuf siècles ?

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