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est un jeune bourgeois riche qui, tout en ayant l’esprit et le goût assez fins pour mépriser le milieu où il vit, est privé des fortes facultés qui lui permettraient de s’élever hors de ce milieu. C’est un type que l’on rencontre souvent en ce temps-ci ; car la guerre, si elle a élargi l’horizon de quelques hommes, ne leur a pas en même temps donné des ailes. C’est ce désaccord, ce manque d’équilibre, que l’auteur a étudié. Il nous montre son personnage d’abord attiré par les lettres et, bientôt, y renonçant faute d’application sans doute ; puis, occupé, en compagnie de camarades oisifs, à des passe-temps insignifiants qui ne le contentent point et durant lesquels il soupire : « Cette existence ne peut durer. » Enfin — cela compose l’intrigue romanesque du livre — Gérard essaie de donner du prix à sa vie par une sorte de raffinement sentimental. Devenu amoureux, le voici qui cristallise, qui analyse ses sentiments, s’embarrasse de pudeurs et de petites défiances, exerce sur l’objet aimé un esprit critique stendhalien, bref, transforme en un pur jeu cérébral des aventures assez terre à terre. Or, si ces subtilités d’esprit procurent aux grands amants leurs plus belles jouissances et activent leurs passions, on conçoit que chez les natures médiocres elles dressent plutôt des obstacles et provoquent des déceptions. C’est le sort de Gérard, d’autant qu’il s’adresse à des marionnettes aimables, mais tout à fait incapables de se prêter à son ambition de délicatesse sentimentale. Sa carrière d’amant intellectuel, si l’on peut ainsi dire, ne lui apporte que des mécomptes. Il a la sagesse d’y renoncer, et, à la fin du récit, laissant « à d’autres les débats de conscience et les nuances sentimentales », il reprend sa place parmi ses camarades ordinaires.

Ce personnage, qui a forcément les traits un peu pâles d’un mondain, est bien présenté par l’auteur. Il a quelque chose d’honnête et de touchant. Il fait penser à un personnage réel en présence de qui l’on se trouve souvent dans un salon. Nous savons ce que deviendra Gérard. Ce sera cet homme du monde « qui a eu des dispositions » et qui témoigne aux artistes ou aux littérateurs une sympathie timide et comme mélancolique. Quelquefois cet amateur nous paraît ridicule. Mais il est assurément supérieur à bien des gens de son milieu, par exemple à celui qui répondait, comme on lui vantait les mérites d’un écri-