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nation de Vaulrin que Luc Durtain oblige à penser en définitive. Durtain s'est nourri avidement de toute son époque. Le futu- risme, l'unanimisme ont trouvé en lui un terrain tout préparé, déjà ensemencé. Tout cela a été absorbé, transformé et l'arbre d'aujourd'hui est un des plus vigoureux qui soient chez nous. Beaucoup des afféteries, des tics, des contorsions qui gâtaient les premières œuvres de Durtain ont disparu. Il en reste encore trop. Une nature aussi généreuse, aussi riche gagnerait à s'im- poser encore plus de discipline, à viser à une sorte de sécheresse -qu'elle n'atteindrait [aimais, à se vouloir simple.

Mais cela dit quelle étonnante légende que Don\e Cent Mille. La légende de l'argent moderne, rien de moins. Sujet conçu avant la guerre, réalisé après (mieux eût valu le situer après qu'avant, mais peut-être le livre qui s'achève le 3 août 1914 aura-t-il une suite) qui pose tous les pions de ce vaste échi- quier : le capitaliste, mine d'or à exploiter, personnifié par un ouvrier de province qui a gagné douze cent mille francs et toute la série des exploiteurs flanqués de leurs femmes, le banquier et ses rabatteurs : l'homme du monde, le général, le courtier marron sans oublier l'autre indispensable victime : l'inventeur. Et voilà pour l'affaire industrielle qui dévorera les premiers six cent mille francs. Le reste sera englouti par la terre et les requins de la propriété foncière apparaissent : le notaire de sous-préfecture, l'homme de confiance à pots-de-vin, l'hostilité paysanne.

Mais pour animer tout cela, pour permettre les mille et un rebondissements du récit, il fallait trouver le moteur. Luc Durtain l'a trouvé : c'est son héros, Bongrand, d'Artagnan prolétaire, que son argent jamais ne possède, qui dénoue les situations d'un seul geste de résignation ou de joyeux sacrifice et qui peu à peu en vient à haïr « l'excrément du démon ». Lorsque ruiné, redevenu simple artisan, il apprend qu'il possède encore près de quarante mille francs, il les refuse et — trouvaille admirable — les donne à l'homme qui l'a le plus ignominieuse- ment dépouillé, comme au seul capable de tripoter cette boue.

Ce vivant simple et puissant — autre trouvaille de Luc Durtain — attire et relient les femmes. Les plus viles, les plus tarées sont intimidées, conquises. Leur intuition, leur instinct maternel leur fait épargner cet homme que leurs

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