Page:NRF 19.djvu/720

Cette page n’a pas encore été corrigée

yi8 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

exprimer moins son propre sentiment que le sentiment du public, ou plutôt éprouver son sentiment comme un accord avec celui du public. « Le critique, dit encore Sainte-Beuve, en des termes qu'il ne faudrait tout de même pas trop prendre à la lettre, n'est que le secrétaire du public, mais un secrétaire qui n'attend pas qu'on lui dicte, et qui devine, qui démêle et rédige chaque matin la pensée de tout le monde. »

Il y a un moment où triomphe cette critique spontanée, cette critique parlée. C'est lorsqu'il s'agit des arts mêmes de la parole, à savoir l'éloquence et surtout le théâtre. Certes la critique dramatique professionnelle, depuis Geoffroy jusqu'à Jules Lemaître, a connu au xix e siècle une belle carrière. Mais on sait que, même lorsqu'elle était rédigée par Gautier, Lemaître ou Brunetière, elle n'exerçait presque pas d'influence sur le public, et que la feuille de location restait à peu près indépen- dante des « mouvements divers » du feuilleton. Une seule exception, et qui confirmait bien la règle : Sarcey. Une critique parlée, j'allais dire gesticulée ; et une critique qui réalisait exac- tement la définition de Sainte-Beuve, un secrétariat du public, qui démêlait et rédigeait chaque dimanche non la pensée de tout le monde individuellement, mais la pensée de tout le monde groupé en tranches de quinze cents personnes, pendant trois heures, sous un lustre.

Cette critique spontanée, c'est pour elle qu'écrivent en général les auteurs. Son assentiment ne fait nullement la gloire, mais il fait le succès. Tandis que les deux autres, celle des artistes et celle des professionnels, sont rédigées par des gens qui écrivent, celle-ci est rédigée par des gens qui causent, qui lisent, qui vont au théâtre, et qui ne se servent de l'écriture qu'acci- dentellement, pour fixer la mémoire d'un entretien, d'une lec- ture, d'un spectacle. « Il y a, dit Voltaire, beaucoup de gens de lettres qui ne sont point auteurs, et ce sont probablement les plus heureux. Ils sont à l'abri du dégoût que la profession d'auteur entraîne quelquefois, des querelles que la rivalité fait naître, des animosités de parti et des faux jugements ; ils jouis- sent plus de la société ; ils sont juges, et les autres sont jugés. » Et il est vrai que, dès qu'un critique écrit, il cesse un peu d'être critique pour devenir auteur. Un pur critique n'écrirait pas. Au- dessus de Sainte-Beuve il y a M. Teste. Mais M. Teste, non

�� �