RÉFLEXIONS SUR LA LITTÉRATURE JI
��*
- *
��J'entends par critique parlée ce qu'on pourrait appeler aussi la critique spontanée, la critique faite par le public lui-même. C'est évidemment l'aînée des trois critiques. Du jour où un poète a chanté devant des hommes, les hommes ont manifesté leur opinion sur lui. Plus ils ont appris à sentir et à exprimer leurs sentiments, plus cette critique parlée s'est perfectionnée. Elle s'est développée en fonction de la vie de société, et comme la vie de société et de conversation n'a nulle part été plus bril- lante et plus fine que dans la France des xvn e , xvm e et xix e siècle, il est naturel que la critique spontanée y ait parti- culièrement brillé. « La vraie critique de Paris, écrivait Sainte- Beuve dans un de ses tout premiers Lundis, se fait en causant ; c'est en allant au scrutin de toutes les opinions, et en dépouil- lant ce scrutin avec intelligence, que le critique composerait son résultat le plus complet et le plus juste. » Il s'agit, bien entendu, des conversations du public éclairé. Mais cette critique verbale n'a guère pour nous qu'une existence théorique. Elle ne commence à vivre littérairement que lorsque certains détours lui permettent de passer dans l'écriture sans y perdre sa sincérité et sa fraîcheur. Ces détours sont heureusement nom- breux.
D'abord ces conversations laissent des traces. On en a noté de brillantes, comme l'éblouissant feu d'artifice critique tiré par Rivarol devant Chênedollé. Il y a, dans les mémoires, les cor- respondances, les journaux, les nouvelles de la littérature française, une sorte de Journal des Gonconrt presque ininter- rompu, qui dure depuis trois siècles. Et puis la critique spon- tanée ne consiste pas seulement dans les conversations, dans la parole auditive, mais dans ces succédanés de la parole que sont les lettres, les notes personnelles. Les lettres de madame de Sévigné ou de Doudan, les pensées de Joubert, le journal d'Amiel, toutes les fois qu'ils s'expriment sur des matières littéraires, on peut dire qu'ils font de la critique parlée, parlée ici à madame de Grignan et là au trou d'où naissent les roseaux qui racontent les oreilles de Midas. Enfin il existe des critiques, de vrais critiques, qui peuvent être tentés par ce rôle en apparence subalterne :
�� �