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LE FLEUVE DE FEU JO^

connaissait jusqu'à sa toilette, comptait les boutons du « tailleur ». Une confidence échappée à Gisèle, cette après- midi, lui revenait soudain : A l'Abbaye-aux-Bois, quand Lucile était une grande, elle avait choisi Gisèle pour sa petite fille : « Vous savez l'usage des couvents ? Chaque grande est une petite maman... »

A table, elle quêta le regard de Daniel sans vergogne. Qu'elle était imprudente ! Qu'elle calculait peu ! Lui, buvait sec, pour mieux sentir sa passion ; alors une subite idée le frappa : si Gisèle était une vraie jeune fille, pour- quoi ses gestes ni ses propos ne tendaient-ils au mariage ? Elle ne lui avait posé aucune insidieuse question sur sa famille, sur son métier, sur ses revenus, comme elles font presque toutes quand elles jettent le filet. « Voyons, voyons, voyons, » marmonnait-il, cherchant dans le long bavardage de la journée ce qu'elle avait pu dire touchant le mariage. Il se rappela que, lorsqu'au tournant de la route il lui avait demandé pourquoi sa chère amie Villeron ne s'était pas inquiétée de son avenir, pareil à un chirurgien qui découvre sous ses doigts qu'au delà de ce qu'il avait cru, le cancer se ramifie, il l'avait vu blêmir. Mademoiselle de Plailly, ver- beuse, s'était alors jetée dans une autre diatribe : à l'en- tendre, son père ne voulait faire aucune concession. Même avant la guerre, il ne se fût jamais résolu à doter sa fille. Il avait sur ce sujet des idées d'ancien régime, disait-elle, et lui citait l'exemple des jeunes filles nobles d'autrefois ; il ne lui faisait grâce d'aucun divorce connu de lui ni de leurs pires motifs. Elle était « ferrée à glace » (ce fut son expression) sur les plus scabreux cas de cassation reçus en cour de Rome.

Daniel tournait maintenant dans les allées noires, se cognait aux bancs, frottait l'une contre l'autre les paumes de ses mains.

Après le dîner, à cause de la brume presque froide, Mademoiselle de Plailly s'établit au salon avec un livre.

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