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708 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

du matin... Et la bonne a assez à faire avec le poulailler, les lessives... Je suis obligée de prendre pour le retour le dernier train du soir, le seul qui corresponde avec la patache. C'est long ces journées dans Paris. On ne sait où se poser; il n'y a que les grands magasins...

Elle s'interrompit, comme si elle eût compris que ce n'était pas cela qu'il aurait fallu dire. Ah ! Dieu ! Dieu î Elle errait donc des jours entiers dans cette jungle. C'était un hasard qu'il ne l'eût pas un jour flairée, levée... Comme ils approchaient de l'hôtel, la jeune fille lui dit qu'il valait mieux ne pas entrer ensemble, à cause des Pédebidou. Il protesta qu'il était tout naturel qu'ils aient lié connaissance et que personne n'y pouvait rien trouver à dire. Mais elle secouait la tête et, butée, le suppliait de passer par le fond du jardin. Il résistait :

— Les Pédebidou penseront ce qu'ils voudront.

— Oui ! Et quand mon amie sera ici, ils lui racon- teront des histoires.

— Quelles histoires ? Elle verra bien que je vous con-

��nais, votre amie..

��La jeune fille balbutia :

— Vous serez encore là ?

Sans doute eût-elle voulu reprendre cette parole. Mais sous le regard haineux du garçon, elle perdit contenance, et elle demeurait immobile avec une humilité, une soumis- sion douce. Qu'il souffrait ! Il lui sembla que plus jamais il n'oserait plonger dans ce cœur dormant, dans cette eau traîtresse. Raymond Courrège, lui, aurait meurtri ces bras abandonnés, saisi à deux mains cette tête, ployé la fille tout entière comme une branche, jusqu'à la rompre. Il la quitta sans un mot, chercha l'entrée secrète du jardin et, comme il se retournait, la vit debout à la même place. Seul maintenant sur l'allée herbeuse, il s'effravait de la boue remuée en lui et dont il salissait la jeune fille. M me de Vil- leron... Il la voyait cette inconnue, se la représentait avec minutie : ramassée, noiraude, l'œil dur et jauni de bile, il

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