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COLOMBE BLANCHET 677

la ville, il devait être, leur semblait-il, plus renseigné qu'eux, plus audacieux qu'eux, bien que plus jeune. Et son pres- tige, grâce à cette ignorance de ce qu'il était vraiment, durait.

— Je vous entends sans cesse répéter qu'il n'y a pas de femmes ici, dit-il. Et pourtant vous vous plaignez que les gens de la ville aient des maîtresses. Qu'est-ce que cette petite institutrice dont vous parliez tout à l'heure.

— Ce n'est pas une institutrice, répondit Bonnin...

A ce moment la lune se montra et les jeunes gens arrêtés devant l'étroite façade d'une maison à un étage dont le linteau de la porte soutenait une niche avec un Saint- Joseph, se trouvèrent dans une nappe de lumière. Tant ce décor, passé onze heures, paraissait irréel, tant ces maisons de petite ville paraissaient closes et inhabitées, que les jeunes gens ne songeaient même pas à s'éloigner ou que leurs voix pussent troubler le sommeil de qui que ce fût dans le voisinage. Jean-Gilles était debout sur la route, le visage tourné dans le sens de la rue, et les deux autres bientôt s'étaient assis de chaque côté de la marche du seuil, avec si peu de gêne que Voyle machinalement tambourinait même légèrement de son poing sur la porte de bois. Et il parlait avec ce goût, cette minutie, et cette application des gens qui ont passé l'heure raisonnable de dormir et qui veulent faire durer le plus longtemps possible le plaisir.

— Ce n'est pas une institutrice, dit Bonnin. Et je n'affirme pas qu'elle ait jamais été la maîtresse de personne. Nous l'appelons la petite institutrice, mais c'est en réalité la sœur de Marie, l'adjointe de l'école des filles. Quant à sa vie privée, on prétend qu'elle fait la noce à T... Moi je n'en crois rien. Ce sont des racontars de Voyle. Moi je l'ai toujours vue bien se tenir.

— Demande-le donc aux officiers deT... et à Jonquières.

— Pourquoi pas, j'ai un parent à T... à qui je le ferai demander.

— Nous verrons, poursuivit Voyle. Ici, naturellement, elle fait la farouche à cause de sa sœur.

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