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6jO ■ LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

gulière : à dix ans il avait perdu sa mère, une toute jeune femme anglaise pleine de charme et de fantaisie qui passait des après-midi entières avec d'autres jeunes dames de B... en riant aux éclats, à lui essayer de ravissants costumes qu'elles composaient elles-mêmes. Son père qui était un juge suppléant au tribunal de B... s'était par la suite fort peu occupé de lui. Il avait commencé à se distraire de la mort de sa femme d'une façon peu convenable. On le voyait partout en voiture pour des parties de plaisir, avec des compagnons de fête et des femmes, tandis que l'enfant restait enfermé durant de longues après-midis d'ennui derrière la grille de la cour à attendre leur retour. Son éducation avait été négligée et lorsque son père était mort à peu près ruiné, il était en retard de deux classes sur les garçons de son âge. Courageusement, sous la conduite de son tuteur, qui était le plus pauvre de ses oncles, il avait renoncé à toute situation brillante, il avait préparé l'école normale d'instituteurs, et la vie jusqu'au delà de vingt ans, jusqu'après son service militaire, lui était apparue comme une longue suite de travaux, de devoirs et d'efforts. Par instants seulement il songeait à ce que serait son existence lorsqu'enfin les examens seraient finis, lorsqu'il ne serait plus à la charge de personne et inconsciemment il imagi- nait une existence qui ressemblait au tendre paradis perdu de sa première enfance. Là aussi il y aurait une jeune femme, venue on ne savait comment, mais certainement d'une façon étrange, charmante et inattendue. Souvent, durant cette longue période où il avait travaillé pour elle, il avait ima- giné cette arrivée singulière. Lorsqu'il était arrivé à Ville- neuve, dans un milieu, avec des collègues et pour un travail auxquels il eût dû se sentir très supérieur, il ne s'était dit qu'une chose : voici la ville où elle ne peut manquer d'être. Et Villeneuve était devenu pour lui un pays plein de charme et de mystère.

Même la soirée de la veille avec Josepha, si pauvre que fût pour les autres cette aventure, avait eu pour lui ce

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