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ALA1N-FOURXIER 667

Lui qui tout a l'heure marquait tant de respect pour les choses et semblait vouloir prosterner devant elles sa pensée, ou l'v laisser se perdre, c'est dans un mouvement plus sincère encore qu'il s'écrie tout à coup : « Je me jouais du monde avec la moindre de mes pensées ', » et qu'après l'avoir si religieusement adorée, il parle « d'une certaine àme de ces campagnes... que j'invente tous les jours un peu plus 2 . »

On sait l'importance qu'a le mot « changer » chez Rim- baud, et ce clin d'œil, qui a tait fortune, par lequel il com- munique à tout spectacle un aspect second. Il y a chez Fournier une disposition analogue, non pas tout à tait des sens, mais de l'âme, si j'ose dire. Encore une fois il n'est pas directement poète, sa vision n'est pas assez subversive ; elle ne brouille pas assez les choses ; il n'entre pas assez de sens dessus dessous dans ce qu'il a regardé. Mais il a une façon propre d'ébranler les paysages et les êtres selon une certaine pulsation comme amoureuse de son cœur et de les mettre tranquillement en chemin, par ce seul moteur, sur toutes les pentes du rêve.

Avec Rimbaud (je ne fais pas ici de comparaison de valeur), on a la sensation que toute l'étrangeté du spectacle dépend d'un éclairage venant du dehors, fourni par le regard du poète. Fournier invente une manière de désorientation plus complète, plus sournoise, par la sympathie. Ce n'est pas en vain qu'il insiste, dans un des passages que j'ai cités, sur le rôle du « cœur » dans la transformation des choses en «idées». Ce n'est pas par hasard qu'il débute par cet attendrissement devant toutes choses, à la Charles Louis Phi- lippe, qui me donna un peu sur les nerfs. « Ce qui m'im- porte, c'est mon émotion, » écrit-il 3 . Parce qu'il y dis- tingue un moyen créateur et presque métaphysique, une source de déplacement des objets et comme l'origine de la procession qui les transfigurera.

1. Lettre du 9 décembre 1905.

2. Lettre du 4 octobre 1905.

3. Le 22 janvier 1906.

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