660 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE
genoux, je me penche sur elle et je transcrive mot à mot '. »
Il est difficile, tant elles sont nombreuses et riches, de mettre en ordre toutes les découvertes que Fournier fit sur lui-même, ou plutôt sur son talent et sur les conditions de sa création, pendant ces deux ou trois années.
Les plus générales d'abord : il comprend, lui qui vient de s'épanouir, au milieu et par le moyen de la littérature la plus ésotérique, la plus aristocratique peut-être qui ait jamais été, — il comprend que ses sources d'inspiration sont d'ordre populaire, qu'il doit obéissance à son hérédité paysanne et que c'est du milieu dont il sort que monteront à son esprit les vrais thèmes de son œuvre future. Toutes ses lettres sont pleines de descriptions de son pays, de grands récits de promenades, de conversations avec des paysans qu'il me rapporte méticuleusement : « Il me répondait, dit-il de l'un d'eux, avec une grossièreté, et une lenteur, et une prudence qui me prenaient le cœur 2 . » Et plus loin : « Je voudrais dire avec le même amour les injures de celui qui veut qu'on ferme les barrières de ses prés, et qui n'est que haine déchaînée — et les paroles du braconnier que, reve- nant en retard, nous avons rencontré, poussé, le long de la haie, par l'orage menaçant et le vent rouge, vers la nuit d'août tombée, etc. 3 » Et dans la même lettre encore : « Je voudrais m'adresser à la campagne, comme les Gon- court à Paris : « O Paris..., tu possèdes... » Je veux au moins dire que si j'ai connu moins que les autres ces inquiétudes de jeunesse, ces angoisses sur mon moi, ce désarroi du déracinement, c'est que j'ai toujours été sûr de me retrouver avec ma jeunesse et ma vie, à la barrière — au coin d'un champ où l'on attelle deux chevaux à une herse... Et jamais plus que cette année de douloureuse sécheresse, je ne l'ai trouvée aussi compatissante, sympa-
i. Lettre du 21 mars 1906. 2. Lettre du 3 septembre 1906. i. Ibid.
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