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624 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

Oui, l'amour humain, en tant qu'il se distingue du désir, ou en tant qu'il le dépasse, peut bien être considéré comme une création par contre-coup, du christianisme. La remarque est d'ailleurs, je crois bien, des plus anciennes et des plus banales.

Mais il y a plus encore : le désir lui-même, — voyons les choses en face — le christianisme, et spécialement le catholi- cisme, ne l'a-t-il pas d'une certaine manière intégré ? Le pro- blème est obscur, et de ceux auxquels on doit, avec M. Poucel, réclamer le droit de ne pas donner de solution précise. Pour- tant qu'est-ce que le dogme du péché originel sinon un effort pour faire entrer les choses de lachair dans un système spirituel? La réprobation qui d'après ce dogme pèse sur elles doit être soigneusement distinguée d'une exclusion. L'exclusion, c'est le stoïcisme qui s'en chargera. Le christianisme crée le péché, mais crée du même coup le lien de la chair avec l'esprit et tou- tes les circulations qui pourront s'établir de l'un à l'autre, c'est- à-dire sans doute d'abord le renforcement de la volupté par la réflexion, sa haute dignité de crime, mais aussi l'enrichissement de la spéculation et de la vertu même par l'afflux secret du désir.

Si le christianisme conserve sur des esprits qui s'en sont éloi- gnés un pouvoir auquel ils ne se sentent pas sûrs de résister jusqu'au bout, c'est avant tout par cette utilisation totale qu'ils le voient seul savoir faire de l'homme. Du jour où il leur fau- drait reconnaître que certains élans en eux dont ils ne peuvent douter qu'ils soient force et richesse, ne doivent y espérer aucun emploi, ils perdraient toute envie d'accéder jamais à la vie catholique.

Ce qui vexe dans les attaques dont Barrés est l'objet, c'est qu'on sent bien, en général, — ■ je ne fais pas de personnalités, — qu'elles émanent de gens qui s'annexent le catholicisme unique- ment parce qu'il représente pour eux la simplification dont ils ont toujours eu besoin, mais par manque de complexité, l'ex- cuse à leurs insuffisances. Tous ces défenseurs de la pureté chrétienne, s'ils sont si vigilants et si hargneux, c'est parce qu'elle leur va comme un gant ; s'ils avaient eu plus de difficulté à l'épouser, ils n'oublieraient pas si facilement les charmes qui peuvent la compromettre, ou du moins ne les réprouveraient pas sans ce mot de regret, de nostalgie et de tendresse, que je

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