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622 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

représente une si considérable et si magnifique autorité que le jugement de ses mandataires ne peut les laisser indifférentes. Personnellement je comprends assez bien la gêne de Barrés devant l'espèce d'excommunication dont son livre est l'objet.

Je comprends surtout sa révolte contre les personnes qui la décrètent. Il est vexant, au lieu des grandes voix de l'Eglise, de n'entendre s'élever contre soi que celles des nouveaux con- vertis. Ils forment aujourd'hui une phalange redoutablement organisée et montent, autour de l'orthodoxie, une garde féroce, et — ce qu'il y a de plus drôle — dont personne ne semble les avoir chargés.

Car lisez en regard des articles de José Vincent et de R. Val- lery-Radot, l'article dont la conclusion sans doute n'est guère moins sévère, mais où se marque tant de réserve, de tolérance, et même d'hésitation, que M. Victor Poucel a publié dans les Etudes. Là, s'exprime, je crois, le sentiment de la véritable Eglise catholique vis-à-vis de l'art :

Aux yeux d'un chrétien, l'art n'est pas dans une situation morale claire. La figure d'Eve, éternellement douteuse, adresse au monde son sourire ambigu : à cette vue l'artiste, s'il est chrétien, sent son admira- tion se troubler. Ces formes où son intelligence vient de saisir un signe lumineux d'ordre vivant et de rectitude morale, ces mêmes formes, il les voit s'assembler comme un alphabet magique dont la lecture nourrit sa perversité. Comment donc concilier tout l'art et toute la morale ? Un chrétien peut logiquement ne pas y prétendre. Après tout ce n'est pas pour ce monde qu'il attend de sa foi des lumières de ce genre. Pour le moment, contradiction, guerre. Son christianisme n'a- t-il pas dépose dans son âme, avec l'essentielle paix, de nouveaux fer- ments d'inquiétude, de tristesse, d'obscurité même, qui cuveront toute sa vie et ne s'apaiseront en douceurs qu'au festin des noces de l'Agneau.

Et plus loin :

En cette matière, les règles pratiques sont troubles. Tous les chré-. tiens, tant s'en faut, ne choisissent pas le parti d'Aubanel (de chanter la Beauté païenne). La plupart, rencontrant au passage le marbre éblouissant de la déesse ferment les yeux et se taisent. Certains, enfin, ne savent pas et ne sauront jamais ce qu'ils doivent faire. Et moi, je ne suis ni assez fin ni assez sot pour le leur apprendre.

Jésuitisme, direz-vous. — Non, sensibilité et bon sens, deux

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