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CHRONIQUE DRAMATIQUE 613

très près le phénomène nommé amour, qui n’est pas au fond très compliqué, ni très relevé, et au lieu de le prendre du point de vue du sentiment, qui fausse tout, il l’a pris du point de vue de l’intelligence, bien que ce mot et ce qu’il signifie n’aient guère affaire avec l’amour. Quoi qu’il en soit, sa pièce est remarquable. Le premier acte, avec le jeu soutenu de ses répliques toutes mordantes et spirituelles, sans aucune d’inutile et de forcée, n’était pas un ouvrage facile. On en entend rarement d’aussi pleins en même temps qu’aussi amusants. De même, comme je l’ai dit, la scène de séduction entre le jeune homme et la coquette, traitée et conduite de façon étonnante. De même, l’acte final, avec son caractère de satire douloureuse.

La même dame dont j’ai parlé plus haut m’a dit aussi, en parlant de la pièce : « C’est fait par un tout jeune homme. C’est sans importance. » Je livre cette opinion aux réflexions des femmes, s’il en est qui me lisent. Que signifie-t-elle, tout au fond ? Que l’auteur, malgré tous ses sarcasmes et toute sa pénétration, en passera par où passent tous les autres ? Ce doit être cela.

Je crois que c’est au deuxième acte. Le père expliquait à son fils, avant son entrevue avec la coquette, comment il devait s’y prendre avec les femmes, étant donné ce qu’elles sont. 11 venait, je crois bien, d’énoncer entre autres aphorismes véridiques celui que j’ai reproduit plus haut : « Les femmes ont une crédulité sans borne parce qu’elles se croient être seules à savoir bien mentir. » Une jeune femme, et jolie, placée derrière moi, se mit à dire : « Qu’est-ce que nous prenons ! a « Et mérité ! » dis-je de mon côté. Il m’a semblé que s’élevait alors, autour de moi, chez les spectatrices, un murmure peu favorable.

La pièce est fort bien jouée par M. Harry Krimerdansle rôle du jeune homme, M. Dartois dans celui de l’Alphonse senti- mental, et Mesdames Suzy Prim et Corciade dans celui de la première jeune femme et celui de la coquette victorieuse. C’est M. Lugné Poe, le directeur de l’Œuvre, qui joue le rôle du père. Il y a longtemps que j’en ai jugé et c’est souvent que je l’ai dit que M. Lugné Poe est un comédien extraordinaire. Je n’ai vu chez aucun acteur un tel manque de souci de l’effet, une pareille soumission au rôle, une pareille manière de jouer pleine de dessous, toutes les nuances d’un rôle interprétées et

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