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REiLiXiONS SUR LA LITTÉRATURE 59

pour voir des geus de chair et d'os traîner tout cela devant des espaliers de fracs et de peaux. C'est une des manies les plus ridicules de notre théàtrocratie et de notre cabotinisme que de vouloir enfourner bon gré malgré dans la gueule ouverte de la scène tout ce qui parait, à la lecture, beau, intéressant ou curieux. Il y eut autrefois un « théâtre d'art» où l'on essaya de susciter l'enthousiasme d'une foule en « jouant » le Cantique des Cantiques agrémenté de parfums que répandaient des vaporisateurs. Ubu Roi est à peu près à sa place sur les plan- ches comme le Cantique des Cantiques. 11 ne faut pas confondre le vrai théâtre, et ce qu'on pourrait appeler le parathéâtre, ce qui est à côté, en dehors, à l'imitation du théâtre, la littérature qui emprunte au théâtre un extrait de mouvement, comme la poé- sie emprunte à la musique un extrait de mélodie et d'harmonie. Mais le monde des mentons bleus, et son innombrable succur- sale parisienne, ont une tendance à croire que toute littérature, et singulièrement toute littérature dialoguée, trouve le cou- ronnement de son effort et la plénitude de son être dans des ouvreuses, un lustre et les feuilletons du lundi.

L'accueil fait à Ubu n'aurait aucune importance, s'il ne s'in- tercalait dans une histoire savoureuse dont j'essayerai de réta- blir, du moins par fragments, la chronique. Le Wellington qui, selon M. Yandérem, étalait son plastron de chemise comme le miroir de l'éternelle raison, usurpait peut-être quelque peu la qualité de vainqueur. Le véritable vainqueur était l'auteur des Sources ci' Ubu Roi, M. Charles Chassé. M. Chassé, ayant révélé qu'L'7'// avait été écrit tout entier par un collégien de quatorze ans, puis abandonné par son auteur lui-même honteux d'avoir perpétré une telle ànerie, enfin ramassé par Jarry dans les laissés pour compte d'une classe de province, et proposé depuis long- temps par des critiques, des hommes de lettres, des poètes (tout le bloc symboliste en particulier) aux admirations comme une énorme œuvre esotérique où il y aurait tout, les journalistes et le public se sont crus mystifiés, et se sont mis à crier : Ça ne prend pas ! ou : Ça ne prend plus ! Les Parisiens, dit Albert Sorel, pardonnent tout, sauf de n'être pas pris au sérieux. En vérité le père Ubu prophétisait lorsqu'il s'écriait du haut du che- val à phynances : « Je vais tomber et être mort ! »

Et la révélation qui a ulcéré d'humiliation les Parisiens et

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