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576 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

choisir Allemand. Monsieur Kleist n'est pas Allemand... Kleist pâlissait. La transfusion de sang était commencée.

— Monsieur de Kleist est étranger. Un ancien soldat a demandé hier à me parler. Il a vu apporter Kleist blessé dans sa chambre d'hôpital, et l'a entendu se plaindre. Il ne se plai- gnait pas en allemand. Sa plaque d'identité, qui fut à dessein égarée, portait un chiffre qui ne correspond à aucune forma- tion allemande. A la suite de quelle amnésie Rathenau, Harden et Scheidemann se sont introduits en Allemagne, ce n'est pas à moi de vous le dire, ni les plaintes yeddish qu'ils ont poussées tout petits... Adieu, messieurs.

Je voulus courir à Kleist, que les autres emmenaient, mais je devais avoir dans ce palais antique, en plus de ma fatigue, le mal des musées. J'eus un étourdissement, je tombai sur Zelten. Il me prit dans ses bras, chercha où m'étendre, et me hissa par l'estrade sur le trône.

— Repose-toi une minute, cher Jean, fit-il...

Quand je m'éveillai, Zelten avait disparu. Les portes étaient fermées et sans serrure visible. Quelque radical- socialiste, mon futur concurrent aux élections, m'avait enfermé seul avec un trône, comme les épouses prévoyantes enferment sans qu'il s'en aperçoive, pour divorcer ensuite à leur jour, l'époux avec une négresse. Le téléphone, le microphone, le réflecteur avaient disparu. La vieille salle dorée avait supprimé ou réabsorbé ses sens nouveaux, et il ne restait plus, sous un portrait de Benedicta, femme de Louis le Sévère, qu'un tableau d'appel dont je pressai deux boutons, celui du Chambellan de la Porte, pour qu'on m'ouvrit, et celui de la Chambellane Tercéenne, pour en voir une dans ma vie. Mais il ne vint qu'un des deux pages, son maillot noir à la main, et qui se hâtait d'accrocher les boutons à pression d'une robe verte, jaune et rouge. Le bain de tyrannie et de bon goût était terminé. Par des passages obscurs et des escaliers de service, mais qui longeaient les salons à couleurs et à noms féeriques où nous pouvions

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