meuglement des vaches et le pipeau du berger. La lumière du soleil et les bruits du dehors disaient qu’il existe quelque part une vie pure, exquise, poétique. Mais où est-ce ? Ni maman, ni les gens de son entourage n’en avaient jamais parlé à Volôdia.
Quand le domestique vint le réveiller pour le train du matin, il fit semblant de dormir.
— Qu’il aille au diable ! se dit-il.
Il se leva vers onze heures. En se peignant, voyant dans la glace sa figure laide, pâlie par une nuit sans sommeil, il pensa :
« C’est vrai, je ne suis qu’un vilain caneton. »
Quand maman le vit et s’effara de ce qu’il ne fût pas à l’examen, Volôdia lui dit :
— Je ne me suis pas réveillé, maman ; mais ne vous inquiétez pas ; je fournirai un certificat de médecin.
Mme Choumikhine et Nioûta s’éveillèrent vers une heure après midi. Volôdia entendit Mme Choumikhine ouvrir sa fenêtre avec bruit et Nioûta répondre à sa voix dure par un rire en cascade. Il vit la porte de la salle à manger s’ouvrir, et s’allonger vers elle la longue file des nièces et des commensaux, parmi lesquels sa maman ; puis il vit passer Nioûta, souriante et lavée et, à côté d’elle, les sourcils noirs et la barbe de l’architecte, qui venait d’arriver.
Nioûta avait une robe petite-russienne qui ne lui allait pas et l’enlaidissait. L’architecte fit des calembours plats et pesants. Il sembla à Volôdia que dans les côtelettes, que l’on servit, il y avait trop d’oignon. Il lui parut aussi que Nioûta faisait exprès de rire fort et de regarder de son côté, pour lui donner à entendre que le souvenir de la nuit ne la troublait nullement et qu’elle ne remarquait pas la présence à table du vilain caneton.
Vers quatre heures, Volôdia partit avec sa maman pour la gare. Les souvenirs troubles, la nuit sans sommeil, le renvoi prochain, les remords, tout suscitait maintenant en lui une fureur sinistre. Il regardait le profil all