ANTON TCHEKHOV 533
quelque peu incertaine, sans but précis, « au hasard » que nous présente la réalité.
��III
��La critique russe, disais-je, ne put comprendre Tchékhov, ce qui ne Ta pas empêchée de le couvrir de rieurs. Il y a une exception pourtant : c'est l'admirable étude de Léon Schestov : La création ex nihilo, qui porte en épigraphe ce vers de Baudelaire :
Résigne-toi, mon cœur, dors ton sommeil de brute.
Schestov voit en Tchékhov le chantre « de la désespé- rance » : au cours de sa longue carrière littéraire Tchékhov n'a jamais fait que tuer les espoirs humains ; il faisait cela bien mieux que Maupassant, insiste Schestov : des mains de Maupassant la victime réussissait parfois à s'échapper, froissée, brisée, mais encore vivante. Entre les mains de Tchékhov, tout mourait.
Il y a du vrai dans ce terrible jugement que Schestov développe longuement et avec de nombreux exemples à l'appui. Mais je voudrais y introduire une correction qui en modifierait considérablement la portée. Il ne s'agit d'ailleurs pas d'épuiser l'œuvre de Tchékhov en une seule formule; je voudrais souligner seulement une des tendances dominantes de cette oeuvre, celle qui me paraît présenter actuellement une signification toute particulière. Tchékhov tue les espoirs humains, mais « humains » doit signifier ici « sociaux » ; Tchékhov enlève à l'homme tout ce qui ne lui appartient pas en propre, ses vêtements sociaux. Tchékhov déshabille la personnalité humaine que son regard perçant découvre sous les somptueux habits ou les sales oripeaux dont elle est toujours revêtue. Il n'a pas, semble-t-il, de plus grande joie que de faire tomber un à un les voiles dont l'homme recouvre sa nudité et qui la
�� �