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532 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

un détail quelconque, sans paraître y attacher une impor- tance particulière, cela produit toujours un très grand effet.

Ses goûts, ses habitudes (il débuta en collaborant à des journaux quotidiens) et aussi la conscience très nette qu'il avait des limites de ses propres forces le portaient tout natu- rellement vers la forme laconique et concentrée du récit, de la nouvelle plus ou moins développée. Il établissait tou- jours ses plans très minutieusement, mais le récit chez lui se développe si naturellement, si librement que le lecteur peut s'imaginer que l'auteur prend tout autant de plaisir à raconter que lui-même à lire. Presque toujours il entre immédiatement et de plain-pied dans son sujet, sans nulle préparation, avec une audace tranquille qui souvent décon- certe. Le début de VoJodia est très caractéristique à cet égard : Tchékhov indique que les pensées de son héros suivent trois directions différentes, puis il les suit une à une dans leurs méandres avec une sèche précision qui pourrait passer pour de la gaucherie ; mais dès ce début le lecteur est conquis : il est persuadé.

Cet art extraordinaire qui consiste justement à créer l'il- lusion de l'absence de tout art, de toute forme, présente, me semble-t-il, de grandes analogies avec certaines trou- vailles de Moussorgsky : celui-ci découvre intuitivement une forme d'art telle que la vie qu'il y enclôt conserve sa tiédeur, sa souplesse et un indéfinissable parfum de fraî- cheur. La forme de Moussorgsky (je prends ce mot de « forme » dans son acception la plus large), parfaitement pure et transparente, ne se laisse pas apercevoir et paraît nous mettre en rapport direct, en contact immédiat avec la réalité vivante, encore toute palpitante, que nous découvre l'artiste. Je songe surtout, en ce moment, à la Chambre d'Enfants, à la scène de l'auberge de Boris. Il en est de même de Tchékhov dans ses meilleures nouvelles. S'il nous donne l'illusion de la vie, ce n'est pas en accumulant des détails réalistes ou des peintures éclatantes, mais en conservant à son récit cette allure souple, cette démarche

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