Page:NRF 19.djvu/520

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de vous faire beaucoup souffrir pour que dans les heures de rémission, ils vous procurent ce même calme apaisant que la nature. Continuant à entendre, à recueillir d’instant en instant, le murmure apaisant comme une imperceptible brise, de sa pure haleine, c’était toute une existence physiologique qui était devant moi ; aussi longtemps que je restais jadis couché sur la plage, au clair de lune, je demeurais là à la regarder, à l’écouter. Quelquefois on eût dit que la mer devenait grosse, que la tempête se faisait sentir jusque dans la baie et je me mettais contre elle à écouter le grondement de son souffle qui ronflait.

J’avais son souffle près de ma joue, dans sa bouche que j’entrouvrais sur la mienne, où contre ma langue passait sa vie. Mais ce plaisir de la voir dormir et qui était aussi doux que de la sentir vivre, un autre y mettait fin et qui était celui de la voir s’éveiller. Il était à un degré plus profond et plus mystérieux, le plaisir même qu’elle habitât chez moi. Sans doute il m’était doux, l’après-midi, quand elle descendait de voiture, que ce fût dans mon appartement qu’elle rentrât. Il me l’était plus encore que, quand du fond du sommeil, elle remontait les derniers degrés de l’escalier des songes, ce fût dans ma chambre qu’elle renaquît à la conscience et à la vie, qu’elle se demandât un instant : où suis-je ? et que, voyant les objets dont elle était entourée, la lampe dont la lumière lui faisait à peine cligner les yeux, elle pût se répondre qu’elle était chez elle en constatant qu’elle s’éveillait chez moi. Dans ce premier moment délicieux d’incertitude il me semblait que je prenais à nouveau plus complètement possession d’elle, puisque au lieu qu’après être sortie elle entrât dans sa chambre comme quand elle revenait de promenade, c’était ma chambre, dès qu’elle serait reconnue par elle, qui allait l’enserrer, la contenir sans que ses yeux manifestent aucun étonnement, restant aussi calmes que si elle n’avait pas dormi. L’hésitation du réveil révélée par son silence, ne l’était pas par son regard. Dès qu’elle retrouvait la parole, elle disait :