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LES REVUES 5 I I

tourangeau, et prenait garde de ne pas poser dans les flaques ses souliers vernis. Il tenait à la main son feutre et ses gants de peau ; ses cheveux lissés reluisaient au soleil. Anna, en le voyant, s'excusa, et demanda encore cinq minutes, car Flip désirait poursuivre sa partie. Marcel s'écarta ; un coup de vent secoua un poirier voisin et l'inonda de gouttes et de pétales. Anna, essoufflée, s'approcha de lui. Flip fourrait entre eux sa tête velue. — « Vous savez, dit Anna, je vous ai fait attendre exprès. » Marcel la regarda, sans répondre, les yeux tristes. — « Avouez, poursuivit Anna, que lorsque Flip s'amuse ce serait cruel de le déranger. » Marcel fit signe que oui. — « J'aime bien les animaux, déclara Anna, et vous ?» — « Certainement, répondit Marcel. » Ils s'arrêtèrent. — Flip se coucha devant eux et mangea de l'herbe. Anna haussa les épaules et tendit en riant sa main à Marcel.

��Marcel, encouragé, reprit la conversation : « — Comme les choses sont sereines dans la lumière du printemps. » — « La sérénité du prin- temps ? » murmura Anna. — « Quand voudrez-vous, poursuivit douce- ment Marcel, fixer la date de notre mariage ? » Anna lui prit le bras, et répondit avec ardeur : « Vous vous dites que vous m'aimez et cela vous suffit ; vous vous représentez notre noce et vous êtes heureux. Pour moi, Marcel, je ne peux pas. Tout ce qui arrivera est trop simple pour que j'en rêve. Je suis sûre de vous aimer aussi, malgré mes finesses et mes gaucheries, mais l'idée de tout cela me fatigue ; pour- tant je ne puis m'en délivrer l'esprit. Depuis longtemps, Marcel, je ne dis rien de ce qu'il faut dire, je ne pense rien de ce qu'il faut penser. Je crois qu'il y a quelque chose de bon à penser ; mais j'ignore quoi et je suis malheureuse aussi. Il y a quelque chose de bon à dire et ce n'est certainement pas ce que je dis. » — « Vous cherchez trop, Anna, murmura Marcel, laissez-vous aller comme tout le monde à vos plai- sirs. Comme tout le monde. » — « Mais, répondit Anna, c'est juste- ment ce que je ne veux pas. » — « Vous avez tort, dit Marcel. » — « Je le sais bien, cria Anna, seulement vous ne m'apprenez pas ce qui me manque pour que j'aie raison... » — Marcel répliqua sans se trou- bler : « Si, soyez naïve. » — Elle n'osa pas le contredire, quoique le conseil ne fut pas neuf.

Flip fourrait son museau dans la terre et grognait en flairant une musaraigne.

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