Page:NRF 19.djvu/50

Cette page n’a pas encore été corrigée

qu’engendre le désœuvrement vous ont en effet rendu insensible et bête.

— La bêtise n’est pas un vice, ricana Stavroguine en pâlissant.

— C’est un vice parfois, continua Tikhon, ardent et inexorable. Blessé à mort par la vision qui se tient sur votre seuil, vous ne semblez pourtant pas voir, dans ce document, en quoi consiste votre crime et de quoi vous devez être honteux devant les hommes dont vous demandez le jugement : est-ce de votre insensibilité dans le crime ou de la terreur que vous avez ressentie ? A un certain moment vous vous empressez même d’assurer votre lecteur que le geste de menace de la fillette ne vous semblait plus drôle, mais mortel. Mais est-ce que véritablement il a pu vous paraître drôle, ne fût-ce qu’un instant ? Oui, il vous a paru tel, je le certifie.

Tikhon se tut ; il parlait comme quelqu’un qui a renoncé à se contenir.

— Parlez, parlez, le pressa Stavroguine. Vous êtes irrité et vous me grondez. Cela me plaît de la part d’un moine. Mais voilà ce que je vous demanderai : il y a déjà dix minutes que nous parlons depuis cela (il montra les feuillets) et bien que vous m’injuriez, je ne vois en vous aucun signe spécial de dégoût, de honte... vous n’êtes pas dégoûté et vous parlez avec moi comme avec votre égal.

Il ajouta cela en baissant la voix et les mots « comme avec votre égal » parurent jaillir de ses lèvres sans qu’il y eût songé. Tikhon le regarda attentivement.

— Vous m’étonnez, dit-il après un silence, car vos paroles sont sincères, je le vois, et dans ce cas... c’est moi qui suis coupable vis-à-vis de vous. Sachez donc que j’ai été désagréable avec vous et dédaigneux, mais que dans votre soi ! de pénitence, vous ne l’avez même pas remarqué, bien que vous ayez remarqué mon impatience que vous avez appelée gronderie. Mais vous vous considérez vous-même comme méritant un mépris infiniment plus profond