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488 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

(les hérétiques) s'attachent à l'une, ils excluent l'autre, et pen- sent que nous, au contraire. » Pour être dans le vrai, le romancier doit voir dans le paysan un homme capable de bien et de mal, — parbleu ! — et de plus de bien et de plus de mal peut-être que ceux qui sont moins proches des choses naturelles. Le rapport à concevoir ici entre les deux vérités, l'optimiste et la pessimiste, ne peut être donné que par un fort sentiment de la vie rustique. Non le sentiment de la nature, à la Jean-Jacques, qui comporte un certain éloignement des hommes, mais des amitiés terriennes, comme Barrés dit : des amitiés françaises. Ces amitiés seules font comprendre comment les bassesses et les grandeurs du paysan, ce qu'il a parfois de bestial, parfois de biblique et d'idyl- lique, tiennent à ses moeurs et conditions, c'est-à-dire à sa terre. Charles Silvestre a ce sens du Limousin qu'il lui fallait avoir pour écrire un roman complet sur ses paysans. Sympathiques et antipathiques, jeunes et vieux, hommes et femmes, il a dessiné une dizaine de personnages, variés et bien suivis, qui sont en somme des types, les types essentiels d'une galerie campa- gnarde. Ces gens-là, suffisamment individualisés, sont vrais et présents: les ruraux de chez nous dans la guerre, en un moment où tout passionnait la vie, les uns se dépassant pour s'égaler aux circonstances, les autres lâchant la bride aux désirs, aux convoitises.

Si Charles Silvestre a forcé légèrement certains contours, c'est en restant dans la ligne. Pas de ces traits de moeurs que Zola estimait sans doute champêtres et significatifs, tels que celui de l'idiot violant sa grand'mère racornie. Mais son père Breuil, répugnant bonhomme, ladre et lubrique, est poussé assez au noir, tandis que son Jean Pradeau pourra paraître idéalisé, bien qu'il nous le montre d'organisation nerveuse et affiné par la maladie. Le portrait de la vieille mère, si bonne femme, toute de cœur, semble excellent de sûreté et de relief.

Dira-t-on que la probité de l'ouvrage eût exigé un peu plus de sobriété? Si peu que rien. Un mot de trop, parfois, dans le dialogue. Celui d'ailleurs qui parlera le plus au gros du public. Mais tant de paroles d'un naturel et d'une bonhomie qui sont la vie même! Et cela va loin. En usant des mots les plus ordinaires, ces gens ont parfois des phrases, de véritables cris humains, qui leur prêtent de singulières proportions.

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