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où je devais descendre pour prendre une autre ligne. Je m’arrêtai à la station suivante ; il était trois heures de l’après-midi, la journée était claire. C’était une toute petite ville allemande. On m’indiqua un hôtel ; il fallait attendre : le train suivant ne passait qu’à onze heures du soir. J’étais content de cette petite aventure, car rien ne me pressait. L’hôtel était mauvais et petit, mais tout entouré d’arbres et de parterres de fleurs. On me donna une chambrette étroite. Je dînai bien et comme j’avais passé toute la nuit en chemin de fer, je m’endormis très profondément à quatre heures de l’après-midi.

Je fis un rêve complètement inattendu pour moi, car jamais jusqu’alors je n’en avais fait de tel. Il y a au musée de Dresde un tableau de Claude Lorrain qui figure au catalogue sous le titre d’Acis et Galathée, je crois ; moi je l’appelais, je ne sais pourquoi, l’ Age d’or. Je l’avais déjà remarqué depuis longtemps, mais je l’avais revu encore, en passant, trois ou quatre jours auparavant. C’est ce tableau que je vis en rêve, non comme un tableau pourtant, mais comme une réalité. C’est un coin de l’Archipel grec : des flots bleus et caressants, des îles et des rochers, des rivages florissants ; au loin un panorama enchanteur, l’appel du soleil couchant... Les paroles ne peuvent décrire cela. C’est ici que l’humanité européenne retrouve son berceau ; ici que se déroulèrent les premières scènes de la mythologie ; ce fut son vert paradis. Ici vécut une belle humanité. Les hommes se réveillaient et s’endormaient heureux et innocents ; les bois retentissaient de leurs gaies chansons ; le surplus de leurs forces abondantes s’épanchait dans l’amour, dans la joie naïve. Le soleil versait ses rayons sur ces îles et sur la mer, et jouissait de ses beaux enfants. Vision admirable ! Illusion splendide ! Rêve le plus impossible de tous et auquel l’humanité a donné toutes ses forces, pour lequel elle a tout sacrifié, au nom duquel on mourut sur la croix, on tua les prophètes, sans lequel