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PROJECTIONS OU APRES-MINUIT A GENEVE 425

« Ah, si ce n'était pas pour lui et pour ses frères, il y a longtemps que j'aurais quitté cet établissement ! Je suis pour la vie convenable, voyez-vous. »

��L'Isolé dit :

« Moi, j'aime venir ici ; c'est une sorte de distraction. Je regarde la vie qui danse. Et comme j'ai payé ma place, la vie ne me brusque pas. J'aime encore mieux ça que de rôder autour des kiosques à journaux à la recherche de quelqu'un avec qui causer politique. La politique me plaît assez. Cest de la vie, mais lointaine et qui se donne à tous dans les journaux, même aux hommes un peu solitaires comme moi.

« Il est vrai qu'ici les garçons ne m'aiment guère ; parce que je me laisse mal servir et que je leur parle avec poli- tesse. J'ai bien essayé, une fois ou deux, de les interpeller virilement. Mais ça ne prend pas. Vous comprenez, ils voient mon genre. Et tout ce que j'en ai retiré, c'est leur haine et leur ironie. Cest ainsi ; c'est une fatalité. Un autre leur parlerait catégoriquement, ça ne leur ferait rien ; au contraire, ils l'aimeraient.

« Qu'importe, je me venge, Monsieur ! Je me crée un petit monde bien à moi, où mes persécuteurs passent de mauvais quarts d'heure ! C'est de la philosophie. De la métaphysique, pour être plus exact. Ou plutôt une sorte de religion. Tout cela est assez compliqué ; et je ne peux pas, en quelques minutes, vous exposer mon système.

« Du reste je reconnais que ces garçons ont raison, à un certain point de vue. Ils n'aiment pas servir un homme pauvre, un égal en somme. Oui, c'est ça. Oui. Parfaite- ment.

« Excusez-moi, je n'y étais plus. Je vis dans le tremble- ment de me tromper, de penser mal. Des scrupules intel- lectuels, en quelque sorte.

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