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et je me souviens que cela me fut désagréable), mais elle s’occupait déjà de nouveau de son travail de couture. « C’est à cause de votre canif que je l’ai offensée », me dit-elle, sans grand reproche. Je réglai mes comptes avec elle sous le prétexte qu’il ne m’était plus possible désormais de recevoir Nina Savélièvna dans leur logement. Au cours de nos adieux, elle me dit encore beaucoup de bien de Nina Savélièvna. Je lui fis cadeau de cinq roubles en plus de ce que je lui devais pour la chambre. A cette époque je m’ennuyais à mourir. Le danger passé, j’aurais tout à fait oublié l’affaire de la Gorokhovaïa, comme tous les événements de cette période, si de temps en temps je ne m’étais souvenu avec rage de la terreur que j’avais ressentie. J’épanchais ma rage sur qui se présentait. C’est alors que l’idée me vint — mais sans motif aucun — de gâcher ma vie de la façon la plus bête possible. Un an auparavant je songeais à me faire sauter la cervelle ; un autre moyen se présentait, bien meilleur. Un jour, en voyant Marie Timoféèvna Lebiadkina, la bancale, qui vaquait à son service dans la maison, l’idée me vint d’en faire ma femme. Elle n’était pas encore tout à fait folle, mais c’était une idiote toujours en extase et mes camarades avaient découvert qu’elle m’aimait secrètement à la folie. L’idée d’un mariage entre Stavroguine et cet être infirme excitait agréablement mes nerfs. On ne pouvait rien imaginer de plus ridicule, de plus stupide. Mais je ne peux pas arriver à savoir si ma décision fut déterminée, ne fût-ce qu’inconsciemment (inconsciemment, c’est certain), par la rage dont m’avait empli contre moi-même la vile crainte que j’avais éprouvée dans l’affaire avec Matriocha. Je ne le pense vraiment pas. En tout cas ce mariage ne fut pas seulement le « résultat d’un pari conclu après un dîner largement arrosé. » Les « témoins » furent Kirilov et Piotr Verkhovensky, alors de passage à Pétersbourg, puis Lebiadkine lui-même et Prokhor Malov (aujourd’hui décédé). En dehors de ceux-là, personne ne