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HENRI DUVERNOIS 395

tableaux de chevalet et non pas des fresques. Edgar, son meilleur livre, n'est pas un roman, c'est une suite de fan- taisies. Sans parler des romans de sa première manière qui sont faibles et parfois fades (Popote par exemple), la Brebis galeuse, avec des morceaux excellents, reste un livre mal composé, recueil de contes cousus ensemble plutôt que roman. Faubourg-Montmartre lui-même manque d'une forte unité et d'un centre.

Autant Duvernois est à l'aise dans le conte et la nouvelle, autant il l'est peu dès qu'il veut hausser le ton. Son admira- tion pour Balzac, qu'il est essentiel de noter si l'on veut comprendre la personnalité et l'idéal littéraire de Duvernois, le dessert et l'écrase. Il reprend les procédés et le ton balza- cien qu'il ne peut soutenir. Citons un exemple entre cent, pris dans la Brebis galeuse (p. 173) : « Il se trouva par miracle que ce Silvio était sérieux et honnête. Il examina l'affaire, s'y intéressa, y intéressa des commanditaires et se débarrassa des premiers représentants en leur versant une indemnité, etc.. La prospérité a ses vices comme la misère... »

L'art du conteur et l'art du romancier sont distincts. Con- teur français excellent, typique, original, le meilleur de ce temps avec Pierre Mille, Henri Duvernois semble moins doué pour le roman. Mais il est un genre où il s'est essayé déjà avec bonheur et où il semble devoir réussir : la comé- die légère. Son art du dialogue et des « coups de théâtre » y peut trouver un emploi nouveau.

La carrière de Duvernois suit une courbe rare de nos jours, où la quarantaine trouve la plupart des auteurs taris ou bien condamnés à se répéter. Crapotte, malgré son agré- ment, ne laissait pas prévoir l'opulente et jaillissante fantaisie d'Edgar, ni les contes du Journal de 1914 l'émotion humaine de Gisèle ou de Morte la Bête. Ce passage gradué du jour- nalisme à la littérature pure (qui est aussi le cas de Mac Orlan) est un signe des temps, qui eût beaucoup étonné Mallarmé, mais que nous comprenons sans doute mieux que lui, ayant vu, à l'Odéon d'Antoine, Molière interprété

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