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392 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

Canepin, tel est le genre de noms dont Henri Duvernois s'amuse à affubler ses héros et ses héroïnes.

Avec des noms pareils, comment être amoureux ou poète sans ridicule ? Et cependant il y a dans chaque récit de Duvernois un amoureux et un poète en lutte avec son nom aussi prosaïque que la réalité. Rien n'est à la fois aussi comique et aussi touchant que les efforts vers l'idéal d'un Monsieur Chibidère ou d'une Madame Dondurond.

La chose devient plus grotesque et plus pitoyable tout ensemble si Monsieur Chibidère a pour femme une Madame Chibidère épaisse, vulgaire, toute à ses soucis de cuisine et de nettoyage, si Madame Dondurond a pour mari un Monsieur Dondurond épais, vulgaire, tout à ses soucis d'argent et de commerce. Les « incompris » abondent chez Duvernois.

A mettre en scène de tels personnages, le rire de Duvernois fuse chaque fois qu'il y a disproportion par trop énorme entre les aspirations et les possibilités de ses héros ; mais il se mêle d'attendrissement et se nuance de regret quand c'est la vie, le hasard d'un mariage ou d'une ren- contre qui rogne les ailes d'un rêve.

Presque tous les couples qu'il peint sont mal assortis. Tantôt un homme doux et tendre a pour femme une virago, tantôt une brute est unie à un ange. Toutes les variétés des mauvais ménages bourgeois sont répertoriés dans les contes de Duvernois. Le mot résigné est un des plus fré- quents qu'on y rencontre, appliqué tantôt au mari, tantôt à la femme. Cette incompréhension déborde le couple ; pères et fils, patrons et employés sont impuissants à se com- prendre.

Et pourtant, chez le bourgeois le plus endurci, il y a toujours, professe Duvernois, un coin de rêve, chez le plus avare et le plus âpre un coin de générosité.

Les plus à plaindre, ce sont les meilleurs, les plus ardents, les plus idéalistes ; la réalité impitoyable vient toujours empêcher l'essor de leur rêve. « Etre en viande», c'est un

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