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je me rappelle donc très bien tout et je vois en particulier descendre le crépuscule. Une mouche bourdonnait autour de moi et venait continuellement se poser sur mon visage. Je l’attrapai, la tins quelques instants entre mes doigts et la laissai s’échapper par la fenêtre. Un camion pénétra avec grand bruit dans la cour. Un apprenti tailleur chantait à pleine gorge (depuis longtemps déjà) près de sa fenêtre, dans un coin de la cour. Il travaillait et je pouvais le voir de ma place. Il me vint à l’esprit que puisque personne ne m’avait rencontré lorsque j’avais traversé la cour et monté l’escalier, il valait certainement mieux qu’on ne me rencontrât pas non plus à la sortie ; aussi écartai-je prudemment ma chaise de la fenêtre et m’assis-je de telle façon que les voisins ne pussent me voir. Oh ! que c’était donc lâche ! Je pris un livre, puis le rejetai et me mis à suivre, sur une feuille de géranium, les démarches d’une minuscule araignée rouge ; je m’oubliai pendant un instant. Mais je me souviens aujourd’hui de tout, jusqu’au dernier moment.

Je tirai brusquement ma montre. Il y avait déjà vingt minutes qu’elle était sortie. Mais je résolus d’attendre encore exactement un quart d’heure. Je me donnai ce temps. Il me vint aussi à l’esprit qu’elle avait pu rentrer et que je ne l’avais pas entendue. Mais c’était impossible. Il faisait maintenant un silence de mort et j’aurais pu entendre voler la moindre mouche. Tout à coup mon. cœur se remit à battre. Je regardai ma montre : il manquait encore trois minutes ; je restai donc assis, bien que mon cœur battît à me faire mal. Je me levai enfin, mis mon chapeau, boutonnai mon paletot et examinai la chambre : n’y laissais-je aucune trace de mon passage ? J’approchai la chaise de la fenêtre et la plaçai exactement. à l’endroit qu’elle occupait à mon arrivée. J’ouvris la porte enfin, la refermai doucement avec ma clef et me dirigeai vers le réduit à provisions ; la porte en était fermée, mais non à clef ; je le savais bien, mais ne voulus pas l’ouvrir ;