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366 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

les branches des forêts, l'appel des chats, « l'émouvante humi- dité des fleurs», l'assaillent, l'envahissent et Bel-Gazou chan- celle. Le sentiment se disperse, la pensée s'éteint. De ses frères de race, ne pourra-t-elle percevoir jamais que la fraîche beauté animale ?

Si belles, si dorées que soient les sensations, on se lasse peut- être de n'être que leur proie, de n'être qu'un passage. C'est magnifique d'avoir la censation de la terre. Mais d'autres ont eu le sentiment de la nature. C'était moins riche, moins neuf, mais peut-être plus nuancé. Bel-Gazou a renouvelé les sens des hommes. Il n'est pas sûr qu'à certaines heures ce beau destin ne lui ait paru limité. Certaines étrangetés de sa carrière, certains vagabondages ne sont-ils pas d'un être trop sensitif — sensuel serait trop recueilli, sensible trop moral — qui s'irrite de ne pouvoir trouver l'humain ? Bel-Gazou est saisie par les choses. Et si fortement prise qu'il n'est pas une chose au monde qui lui paraisse neutre, inanimée. Les bêtes, devant elle, grandissent, prennent une âme égale à la sienne. Les pierres même vivent, les cordes serpentent, la rue bouscule l'escalier, les maisons sourient.

Les humains échappent à Bel-Gazou, sauf dans leurs mouve- ments instinctifs qu'elle perçoit avec une acuité de chatte. Elle veut les retenir. Elle leur jette ses sensations. Elle veut leur plaire. Quel styliste eut jamais tant de grâces et tant de ruses, qui disposa mieux ses premières phrases en énigmes? Mais dans ces pages si expertes, composées de la main rouée d'une étala- giste, quelles merveilles pures venues des champs et jaillies de l'instinct ! Etrangère à la pensée, aux dissections de l'analyse, elle exprime la sensation d'un seul mot, comme elle la reçoit d'un seul choc, dans toute sa diversité. Et c'est là son génie.

C'est son génie de trouver comme aucun poète, ce que j'appelle, faute de mieux, des rapports d'impression, de ne pas comparer une chose ronde à une chose ronde, ce qui n'éclaire rien, mais un objet éveillant une sensation indéfinissable à un objet portant le même mystère imprécis. C'est son génie de trouver le terme neuf et pur, dédire d'un grand nocturne qui s'envole sans bruit : « il s'appuya sur l'air et fondit dans la nuit. » C'est son génie de sentir en même temps que la beauté robuste de la terre, la beauté profonde de l'air. C'est son génie de sentir

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