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m’étonnant même de l’intensité des sentiments que j’avais éprouvés la veille. J’eus honte d’avoir voulu tuer. J’étais pourtant de mauvaise humeur et malgré toute ma répugnance, je tus obligé de me rendre à la Gorokhovaïa. Je me souviens que j’aurais beaucoup désiré à ce moment avoir une querelle avec quelqu’un, une querelle vraiment sérieuse. Mais en entrant chez moi à la Gorokhovaïa, j’y trouvai Nina Savélièvna, la femme de chambre, qui m’attendait déjà depuis une heure. Je n’aimais pas du tout cette fille et elle était venue avec une certaine appréhension, craignant de me déplaire par sa visite. Elle venait toujours avec cette crainte. Mais je fus très heureux de la voir, ce qui la mit dans le ravissement. Elle n’était pas mal ; de plus elle était modeste et possédait ces bonnes manières que les petits bourgeois estiment particulièrement ; c’est pourquoi ma propriétaire m’en faisait depuis longtemps grand éloge. Je les trouvai toutes deux, en train de prendre du café et ma propriétaire enchantée de l’agréable conversation. Dans un coin de l’autre chambre, j’entrevis Matriocha : elle était debout et dévisageait fixement, en dessous, sa mère et la visiteuse. Quand j’entrai, elle ne se cacha pas comme elle l’avait fait la fois précédente, et ne s’enfuit pas. C’est un point que je me rappelle bien, car j’en fus frappé. Je remarquai seulement à première vue qu’elle avait fortement maigri et qu’elle semblait avoir la fièvre. Je fus très caressant avec Nina et elle me quitta, fort heureuse. Nous sortîmes ensemble et pendant deux jours je ne retournai plus à la Gorokhovaïa. J’en avais assez, mais je m’ennuyais.

Enfin, je résolus de terminer tout en une fois et de quitter même Pétersbourg s’il le fallait. Mais quand je me rendis à la Gorokhovaïa pour y annoncer mon départ, je trouvai ma propriétaire en grande peine et en grand émoi : Matriocha était malade depuis trois jours et délirait toutes les nuits. Naturellement je demandai tout de suite ce qu’elle disait dans son délire (nous causions tout bas