34-2 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE
thèse, par le simple jeu des répliques et le caractère des person- nages, avec clarté et vérité, — et le vrai théâtre est cela sans con- teste, M. Sacha Guitry est le premier auteur dramatique d'aujour- d'hui. Vous verrez cela quand il nous donnera enfin une grande comédie. Il faudra bien qu'il s'y décide un jour. Ajouterai-je qu'il est aussi pour moi une des images de l'homme heureux. Il tra- vaille beaucoup, il semble bien qu'il doive travailler dans le plai- sir, et tout ce qu'il produit trouve le succès. Oui, il est bien pour moi un homme heureux. Quant aux graves auteurs de pièces pré- tentieuses, qui le regardent sans doute avec dédain et le consi- dèrent comme un simple amuseur, je leur dirai ce que j'ai déjà dit bien souvent : il est autrement difficile d'être simple, spiri- tuel et amusant que d'être grave, discoureur et ennuyeux. Je n'ai, pour ma part, qu'une inquiétude. M. Sacha Guitry est encore jeune. Je crois qu'il a déjà produit pas loin d'une cin- quantaine de pièces. J'ai déjà dit bien des fois tout le bien que je pense de lui. Je me demande ce que je pourrai bien dire dans la suite.
Les Compagnons de la Chimère, une nouvelle entreprise dramatique, ont donné, si je ne me trompe, deux spectacles. Je n'ai pu assister qu'au premier. Je tiens M. Jean Schlumberger pour un excellent écrivain. Je n'ai encore rien oublié d'un livre de lui que j'ai lu, il y a bien quinze ans : Heureux qui comme Ulysse..., devenu dans la suite L'Inquiète paternité. C'est un livre admiré par beaucoup et qui le mérite. Il y a là un art d'une sobriété extrême, une émotion profondément humaine, et par la façon dont certaines choses ne sont dites qu'à demi, un motif de rêverie qu'on trouve rarement. Césaire, la pièce qu'il a fait jouer à la Chimère, a son intérêt, elle aussi. M. Jean Schlumberger met en scène deux marins, tous les deux épris de la même femme, que l'un, être simple et borné, a eue réel- lement, et que l'autre, plein d'imagination mais peu séduisant physiquement, n'a possédée que dans ses rêves. Ce dernier décrit si bien cette femme, parle si bien du plaisir qu'on goûte avec elle, décrit si bien le coin retiré où elle se laisse aimer, qu'il arrive à rendre férocement jaloux le possesseur réel, qui sait pourtant bien qu'il n'y a qu'invention dans tous ses propos. Cette jalousie pousse même le véritable amant à tuer son com- pagnon, plus encore pour ne plus entendre les récits qu'il fait
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