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— Comment est-ce indifférent ? Pourquoi ? s’écria en se redressant brusquement Stavroguine. Ce n’est pas du tout la même chose. Ah ! en votre qualité de moine vous soupçonnez immédiatement la plus affreuse vilenie. Les moines feraient des juges d’instruction idéaux.

Tikhon le regarda en silence.

— Calmez-vous, ce n’est pas ma faute si la fillette fut sotte et ne me comprit pas. Il n’y eut rien. Rien du tout.

— Grâce à Dieu ! Tikhon se signa.

— C’est long à expliquer... il y eut ici... il y eut un malentendu psychologique.

Il rougit tout à coup. Le dégoût, l’angoisse, le désespoir se reflétèrent sur son visage. Il se tut. Ils ne se regardaient plus et le silence régna entre eux plus d’une minute.

— Vous savez, il vaut mieux que vous lisiez, prononça machinalement Stavroguine en essuyant avec ses doigts la sueur froide qui trempait son front. Et... le mieux serait que vous ne me regardiez pas du tout... Il me semble que c’est un rêve... Et... n’épuisez pas ma patience, ajouta-t-il tout bas.

Tikhon détourna rapidement les yeux, saisit le troisième feuillet et se mit à lire sans plus s’arrêter jusqu’à la fin. Dans les trois feuillets que lui avait remis Stavroguine rien plus ne manquait ; le troisième débutait ainsi :

« ... Ce fut un instant de terreur véritable, bien que point très intense. J’étais très gai ce matin-là et très bon pour tous et ma bande était fort satisfaite de moi. Mais je les quittai tous et allai à la Gorokhovaïa. Je la rencontrai en bas, dans l’entrée. Elle revenait d’une boutique où on l’avait envoyée acheter de la chicorée. En me voyant elle s’élança dans l’escalier en proie à une peur terrible. Ce n’était même pas de la peur, mais une terreur muette, paralysante. Quand j’entrai, sa mère la frappait « pour s’être jetée dans la chambre tête baissée. » Ainsi elle pu