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SILBERMANN 321

Je pris place entre eux. Mes pensées étaient vagues. Il me semblait que le sol sur lequel j'avais posé mes pas jusqu'ici perdait soudain toute fermeté. Mes parents se doutaient-ils que j'avais surpris leur conversation ? Je ne sais ; toutefois j'ai le souvenir d'une certaine gêne chez eux. Ils m'observaient à la dérobée. Le repas commença en silence.

Je songeais au sermon sur l'intégrité de la justice que mon père m'avait fait entendre dans son cabinet, à son accent majestueux et quasi divin lorsqu'il prononçait le mot conscience. Je songeais aux blâmes sévères que ma mère portait si souvent sur les actions des autres. Ils n'agissent point comme ils me le donnent à croire, disais- je intérieurement, ils me trompent, ils m'ont toujours trompé.

Cette pensée réfléchissait sa lumière sur le passé. J'avais souvent comparé la conduite de mes parents et le système de leurs actes à ces tapisseries au canevas que ma mère brodait avec patience et régularité durant nos veillées. Et maintenant, il me semblait découvrir l'envers de l'ouvrage ; derrière les lignes symétriques et les beaux ornements aux tons francs, j'apercevais les fils embrouillés, les nœuds, les mauvais points.

Mes parents m'adressèrent quelques paroles engageantes. Je répondis par monosyllabes. Le regard fixe, je revoyais, comme si la tapisserie se fût déroulée devant moi, leurs gestes simples, leurs préceptes stricts, leurs actions nobles; et chacune de ces belles images s'ajustait à une trame hor- rible. Ah ! que m'importait que ce qu'ils ourdissaient main- tenant eût pour conséquence de sauver le père de Silber- mann ! Dans le soudain bouleversement de mes notions morales je ne pensais plus à cet événement.

Bien mieux, au lendemain de cette scène, espérant de toute mon âme que mon père ne céderait pas aux pressions exercées sur lui, je souhaitai que la preuve m'en fût donnée par la mise en accusation de l'antiquaire. « Sa culpabilité

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