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3 13 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

bouleverser l'ancien ordre, alors ils changeront de profes. sion, de nom, et ils exploiteront les idées régnantes, tandis que vous autres, pauvres niais, vous vous y o ppo- serez ou vous les subirez, mais vous ne les utiliserez pas.

« Voilà. J'ai fini. Je désirais faire entendre toutes ces choses à quelqu'un. Maintenant nous n'avons plus rien à nous dire. Adieu. »

Il toucha mon épaule d'un geste définitif, descendit du glacis en trois bonds et en un moment il disparut, comme un prophète cesse d'être visible aux yeux des humains qu'il est venu avertir.

Je le laissai aller sans un mot, sans un geste. J'étais comme stupéfait. Après quelques instants, tandis que les paroles que je venais d'entendre retentissaient encore en moi, je regardai alentour. Les fortifications m'offraient une perspective désertée. Assez loin, au pied d'un bastion, un groupe de soldats s'exerçaient au clairon. Ils réapparu- rent minuscules et pareils à des jouets.

��VIII

��Ce fut ma dernière entrevue avec Silbermann. Notre séparation me fut moins douloureuse à la suite de ces étranges adieux. Toutefois lorsqu'il eut cessé définitivement d'être mêlé à ma vie, je tombai dans une profonde déso- lation. Sa personne même ni la fin de notre amitié n'en étaient cause. Je souffrais de ne plus recevoir, chaque matin, à mon réveil, en même temps que la première flèche du jour, l'inspiration de cette tâche glorieuse. Habitué aux rudes efforts et aux sacrifices qu'elle m'imposait, je me résignais mal à des actes indifférents et sans nobles visées. L'existence avait perdu tout prix et m'apparaissait affreusement morne.

Cette impression provenait aussi de ce que Silbermann, en m'apportant une multitude de notions nouvelles, avait

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