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SILBERMANN 3 I $

questionnais en vain... C'est que j'écoutais cette beauté s'unir sourdement à mon esprit, oui, à mon vil esprit juif!

« Je me souviens du jour où j'ai ouvert pour la première fois les Mémoires d' Outre-tombe. Je ne connaissais que le Génie du Christianisme ; je jugeais mal Chateaubriand ; je n'aimais pas ces tableaux pompeux et froids. Et tout à coup, je contemple Combourg ; je découvre le passage sur l'Amérique, sur l'émigration ; je suis entraîné dans le tumulte prodigieux de ce cerveau... Quelle fièvre m'a saisi ! En moins d'une semaine, j'ai achevé les huit volumes. Je lisais une partie de la nuit et, lorsque j'avais éteint la lumière et fermé les yeux, certaines phrases res- taient dans ma tête comme des feux éblouissants qui me tenaient éveillé.

« Je me souviens aussi des heures passées à former et reformer mes projets d'avenir : d'abord le plan de mes études au sortir du lycée, puis le sujet de mes premiers essais. Je n'avais point d'impatience, car je ne voulais pas être marqué de la hâte et de l'avidité que l'on reproche à ceux de ma race. Pourtant, je rêvais du jour où je lirais mon nom imprimé... Eh ! bien ce souhait a été réalisé. Une fois mon nom a été imprimé ; et il était même suivi d'une description. C'était dans La Tradition Française : Silbermann fils, un hideux avorton juif... Ainsi vous m'avez accablé de coups, moi qui ne songeais qu'à vous servir. »

Sa voix était étranglée. Il s'arrêta et baissa la tète. Des larmes coulèrent sur ses joues.

Ce discours singulier, ce mélange de plaintes et de malé- dictions, avait provoqué en moi autant de compassion que d'embarras. Je voulus placer un mot.

— Mais je n'ai pas agi ainsi, procestai-je. Je t'ai tout donné. Je t'aurais sacrifié tout. Maintes fois je te l'ai prouvé.

Alors, relevant la tète et redressant brusquement le ton :

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