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SILBERMANN 29 1

celle que j'avais reçue le jour que j'avais entendu Silber- mann réciter en classe les vers à!Iphigènie. Il me sembla qu'un trait de lumière était jeté sur tous ces monuments que j'avais si mal distingués jusqu'ici. Je revis leurs sveltes ogives, leurs rosaces parfaites, leurs fines galeries brodées sur la nue, et cet art m'apparut soudain adorable. De grises figures de pierre que j'avais contemplées avec froi- deur saillirent dans ma mémoire, nouvellement parées d'une grâce ou d'une détresse ravissantes. Et devant ces visions, je restai un instant confondu, comme, par un beau soir succédant à des nuits brumeuses, devant un ciel constellé.

Après avoir reçu cette lettre, je songeai aux paroles que Silbermann m'avait dites un jour : « Ces choses, ne puis-je les comprendre aussi bien que Montclar ou Robin ? Est-ce que je ne les admire pas plus qu'ils ne les ad- mirent ? »

Quoi ! c'était lui, qui lisait comme à livre ouvert dans la tradition de la France, qu'on traitait d'étranger ! Lui, qui pénétrait jusqu'aux qualités les plus profondes de notre terroir, qu'on voulait chasser de ce pays ! Ah ! ces senti- ments insensés soulevèrent mon indignation. Je les com- parai à ceux qui avaient provoqué jadis la révocation de l'édit de Nantes et fait perdre finalement à la France — je l'avais maintes fois entendu — la partie la plus digne et la plus travailleuse de sa population.

Ce rapprochement fortifia grandement dans mon esprit la cause de Silbermann. Et avant de quitter Aiguesbelles, regardant droit aux yeux le portrait de mon oncle, je jurai de ne point faillir à ma mission.

J'avais espéré qu'une nouvelle année scolaire, avec tous les changements qu'elle apporterait à nos habitudes, modi- fierait la situation de Silbermann au lycée. Mais il n'en fut rien. La composition de la classe fut à peu près la même. Le jour de la rentrée, Philippe Robin passa à côté de moi

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