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2 66 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

forcer au parfum les mots abstraits; rien que par la façon dont il les amène dans le vers et comme s'il fléchissait pour nous la branche qui les porte.

Par moments nous nous sentons vraiment comme la Jeune Parque :

... la narine joinh 1 au vent de l'oranger.

Le délice est si fort que toute autre exigence en nous se tait pour un instant.

Et pour exprimer encore d'une autre façon le charme comme physique que peuvent exercer certains de ces vers, ils sont, dirai-je, par leur allure prudente et divine, par les « pas admirables » qu'ils font en nous, par leur pureté, par leur grâce, par leur silence, comme de belles nymphes qu'il faut faire appel à toute sa sagesse pour ne pas poursuivre et enlacer.

Pourtant une impression côtoie, si j'ose dire, notre enivrement : l'impression que nous ne sommes ici que des invités. Nous participons aux voluptés, à la tranquillisation que s'offre le poète, mais nous n'y baignons pas; elles n'ont pas été préparées pour nous et par instants peut-être nous en apercevons-nous à une hésitation de notre plaisir.

Dans tout usage curatif, c'est-à-dire égoïste, que fait un écrivain du langage ou de la poésie, il y a un danger. Les mots ne peuvent être à la fois tournés vers celui qui les suscite et vers celui qui les reçoit, vers le poète et vers le lecteur : s'ils servent au premier déjà à se guérir, ils servi- ront un peu moins à ravir le second. S'ils font au premier une galerie d'images modératrices et l'environnent de douces remontrances, ils induiront moins facilement le second en extase.

Peut-être Valéry, comme M. Teste, se parle-t-il, parfois, un peu trop uniquement à lui-même. On le sent, à certains moments, qui s'adresse ses vers pour son exclusif apaisement ; il ne s'ensuit pas d'obscurité véritable ; mais ce quelque chose cesse entre eux par quoi ils seraient

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