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258 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

n'y peut passer qu'en l'infectant de prosaïsme. La poésie tend de plus en plus à se différencier du jugement, et même de la perception (à cause de ce qui y est impliqué de jugement) ; elle s'ouvre de plus en plus sur cet abîme que nous portons en nous, différent à la fois du cœur, des sens et de l'esprit, et elle se dévoue, avec une docilité croissante, à en recueillir les incertains murmures. Ainsi semble-t-il qu'elle exclue de plus en plus sévèrement de son sein le lyrisme intellectuel.

Oui, mais Valéry s'est rencontré, doué d'anormales antennes pour tout ce qui est intelligence en formation, et conscient de son esprit comme d'autres peuvent l'être de leurs sentiments, qu'ils voient naître sans savoir encore à quoi ils s'attacheront. Un œil antérieur lui a été donné pour ce travail secret des idées quand à peine encore elles se dégagent des images et s'étirent « mai déridées ». Il sent dans toutes ses circonvolutions le grouillement de ces « secrètes araignées ».

Et sans attendre qu'elles se soient fait jour, il les

exprime, il trouve les mots qui conviennent à leur informité

spécifique.

Ne seras-tu pas de joie

Ivre! à voir de l'ombre issus

Cent mille soleils de soie

Sur tes énigmes tissus ?

Regarde ce que nous fîmes

Nous avons sur tes abîmes

Tendu nos fils primitifs

Et pris la nature nue

Dans une traîne ténue

De tremblants préparatifs r . . .

Et en effet c'est toujours à l'état latent et comme embryon- naire que le sens habite chacun des poèmes de Valéry ; il est présent en chaque vers ; et sans doute, en chaque vers, le même ; mais justement en aucun plus clair ni plus déve-

1. Aurore, p. 8.

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