Page:NRF 19.djvu/254

Cette page n’a pas encore été corrigée

252 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

nous disant que l'un et l'autre ont créé un nouveau monde. Veuillez agréer, mon cher Rivière, l'expression de mes sen- timents les plus sympathiques. Camille Vettard

P. S. — Cette lettre à Jacques Rivière était déjà écrite et envoyée depuis plusieurs jours, lorsque j'ai lu, dans la Revue Hebdomadaire du 17 juin, les pages sur le Cousin Pons, où M. Paul Bourget définit Balzac, en termes très heureux, un visionnaire analytique et ajoute avec une extrême netteté : « Balzac possédait, réunies en lui par une éton- nante richesse de nature, ces deux facultés contradictoires : une magie d'évocation qui donne à ses moindres personnages la plus intense couleur de vie et une acuité de dissection anatomique, qui, derrière chacun de leurs gestes, chacune de leurs paroles, discerne et met à nu les causes... Chez Balzac, le miracle d'équilibre entre la vision et la Science s'est accompli d'une façon si permanente qu'il nous est impos- sible de séparer en lui le peintre et le philosophe, le poète et le cri- tique. Ils sont fondus ensemble à une profondeur qui fait de ses livres une chose unique, etc., etc.. «J'indique, très rapidement, pour prendre date, que je vois très bien une étude sur Proust où l'auteur d'A la Recherche du Temps perdu serait également défini un « visionnaire ana- lytique » et rapproché à ce point de vue (et à quelques autres, tels que celui du don de sympathie, de métempsychose, de mimétisme), de l'auteur de la Comédie Humaine. (Il y aurait lieu de montrer à ce propos toutes les grandes lois psychologiques que Proust a découvertes ou merveilleusement illustrées et artistiquement exprimées : lois de l'habitude, en particulier, de l'adaptation, lois de la mémoire, du pas- sage de l'inconscient au conscient, de la dissociation du moi, etc., etc..) Il ne serait pas difficile de mettre en relief ce qui distingue, au contraire, de la sensibilité d'un Balzac la sensibilité d'un Proust que je rapprocherai de celle d'un Shelley, d'un Keats, d'un Maine de Biran, et l'on pourrait montrer à cette occasion comment Proust a intellectualisé son hyperimpressionnabilité somatique... Il y aurait lieu de définir ce style qui, tel que celui d'un Henry James, tend et réussit, (par des phrases, pleines d'images, de finesses et de nuances, chargées de con- jonctions et enchevêtrées de parenthèses et d'incidentes, où les impres- sions, les pensées et les faits sont savamment tissés ensemble et se réfractent les uns dans les autres) à rendre la tonalité d'une âme ou d'une atmosphère à différentes époques d'une même vie. Enfin on montrerait comment la composition chez Proust est basée non sur les lois d'un exposé didactique, discursif et, disons-le, scolaire, mais sur les lois de la réminiscence et delà création subconsciente. C. V.

�� �