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21 6 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

teur m'écrit que je commence à ennuyer avec les animaux, j'ai ma réponse toute prête : « Il m'arrive bien d'être ennuyé par des bêtes qui écrivent ! » J'assurerai ainsi, une fois de plus, sans grand effort, ma réputation d'esprit. J'étais d'autant moins en train d'écrire ces derniers temps, qu'il m'est encore arrivé de perdre deux de mes compagnons à quatre pattes. Ce sont le chat Chati et la chatte Petite Café. Si je dis que c'étaient deux êtres délicieux, vous penserez que j'exagère, comme ces gens qui trouvent ce qu'ils possèdent toujours les plus belles choses du monde. Vous le penserez si vous le voulez. Je ne dis que le vrai. Chati était un chat noir que des gens avaient laissé dans une chambre d'hôtel rue Saint-Jacques et que j'avais recueili, voilà trois ans. Il n'y a pas un animal qui ressemble à un autre. Ce sont les serins ou les gens qui les ignorent totalement qui se figurent que toutes les bêtes sont pareilles. Pour eux, un chat ou un chien sont ni plus ni moins qu'un autre chat ou un autre chien. Les animaux sont comme nous. Ils ont chacun leur indi- vidualité. Celui-ci n'est pas celui-là, qui, à son tour, n'est pas cet autre. Je le vois bien dans ma petite troupe de chats. Il y a les vagabonds et les sédentaires, les indifférents et les démons- tratifs, les hardis et les timides, ceux qui vont par groupe et ceux qui préfèrent être seuls — même pour manger. J'ai de mes chats, par exemple, qui, d'eux-mêmes ■ — entièrement libres et toutes les portes ouvertes, ne sont jamais montés au premier étage du pavillon que j'habite, d'autres qui m'y suivent aussitôt que j'arrive. Je vous nommerai, par exemple, la chatte Madame Minne, la dovenne, qui a de l'esprit plein sa frimousse, la chatte Lolotte, une petite pimbêche, qui ne connaît que moi, ne quitte pas mon cabinet de travail, ne fréquente personne, me suit partout, bavarde sans cesse, avec des manières de petite précieuse, les chats Riquet, Laurent, Bibi et Pitou, ce dernier que j'ai ramassé au marché Saint-Germain, gros comme le poing, sachant à peine boire tout seul, et qui, arrivé à la mai- son, quand je l'eus posé sur un canapé, soufflait après tout le monde. Je les ai tous six depuis bientôt dix ans. A cause de ce temps, et d'eux-mêmes, ils ont pris des habitudes plus intimes. Ils m'attendent, rangés sur la table de l'antichambre, à l'heure à laquelle j'arrive. Ilssontsurlatable, autour de mon assiette, quand je dîne. Ils se tiennent avec moi, dans mon cabinet, quand je

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