Page:NRF 19.djvu/215

Cette page n’a pas encore été corrigée

RÉFLEXIONS SUR LA LITTÉRATURE 21 3

sacrifie infailliblement cet amour à la domination ! Si M. Barrés a voulu se divertir à faire son Baja^et, son Oriante semble bien le contraire de Roxane. Il serait aussi inexact de parler d'héroïne cornélienne. On peut tout au moins le dire pour le retirer tout de suite après, ce qui est une manière de ne pas le taire complè- tement. Je songe aux femmes de Rodogune, j'attache une grande importance à ce mot d'une pureté magnifique, clou de diamant auquel pend cette draperie orientale et française : « Guillaume avait l'idée de tenir dans ses bras un jeune héros. »

Un jeune héros ! Le couple seul existe humainement. Mais sur un plan supérieur il peut être permis à l'homme de devenir un couple, les côtes qui lui demeurent tendent plus ou moins, comme les sœurs de Psyché, à la destinée de la première. Il n'est sans doute pas de grand artiste qui ne projette hors de lui quelque puissance féminine. Et la femme elle aussi (mieux encore peut-être puisqu'elle met l'homme au monde) peut éprouver en elle le génie des deux sexes. La femme, naturelle- ment, n'est ni poète, ni soldat, ni prêtre. Mais quand l'âme du poète vibre en Sapho, quand l'âme du soldat descend en Jeanne d'Arc, quand l'âme du prêtre investit Angélique Arnaud, la femme, sans perdre son sexe, assume dans ce qu'elle a de plus pur l'essence de l'autre sexe. Elle devient ce jeune héros que M. Barrés s'est plu à peindre sous des couleurs orientales ; seule- ment il n'y a pas de héros d'amour, pas de héros qui ne doive surmonter et dépasser l'amour. Oriante vit de cet éther supérieur. Guillaume en meurt, qui ignore la pointe de la vie héroïque. Que ne s'accommodait-il de la douce Isabelle, dont la plénitude amoureuse ne dépassait pas le cercle de chair qu'ont tracé à un homme les caresses maternelles ? Qu'il disparaisse dans l'âme éclatante d'Oriante comme Bérénice s'est évanouie dans le moi nuancé de Philippe !

��Les vingt pages de trop qu'on trouve dans le récit de M. Barrés et qui l'alourdissent à plusieurs endroits ne l'empêchent pas de nous retenir et de nous charmer en toutes sortes de manières. Evidemment il ne saurait guère devenir populaire. Je crois qu'il a laissé le public un peu froid et la cri- tique un peu déroutée. Mais comme il se place bien dans la file

�� �