Page:NRF 19.djvu/179

Cette page n’a pas encore été corrigée

SILBERMANN I77

adresse pour mettre à portée de main ce qui est élevé, étaient pour moi des qualités vraiment neuves. Et cette parole forte et aimable à la fois, qui imposait en même temps qu'elle charmait, qui donc s'en trouvait doué dans

��mon entourage ?

��Il n'avait pas cessé de parler, citant des noms d'écrivains et des titres d'ouvrages.

J'avais un immense respect pour tout ce qui touchait à la littérature. Je plaçais certains écrivains qui avaient éveillé mon admiration au-dessus de l'humanité entière à l'image des divinités de l'Olympe. Silbermann m'instrui- sait de bien des faits que j'ignorais, discourant facilement de l'un et de l'autre. Il me révéla finalement que son dieu était «le père Hugo». Je l'écoutais avec avidité. Cepen- dant, fut-ce cette familiarité, fut-ce l'éclat de sa voix ou la couleur un peu étrange de son teint ? je ne sais, mais j'eus à ce moment la vision d'une scène qui amena un léger recul de ma part. Souvent, à Aiguesbelles, un mar- chand de fruits, un Espagnol à la peau basanée, passait sur la route et arrêtait sa charrette devant le mas, criant bizarrement sa marchandise et maniant sans délicatesse les belles pommes écarlates, les pêches tendres et poudrées, les prunes lisses et glacées. Or, Célestine, notre cuisinière, n'aimait pas cet homme, « venu on ne sait d'où », disait- elle, et lorsqu'elle avait eu affaire avec lui, on l'entendait

��maugréer en revenant

��— C'est malheureux de voir ces beaux fruits touchés par ces mains-là.

Silbermann, ignorant ce petit mouvement instinctif, poursuivit :

— Si les livres t'intéressent, tu viendras un jour chez moi, je te montrerai ma bibliothèque et je te prêterai tout ce que tu voudras.

Je le remerciai et acceptai.

— Alors quand veux-tu venir ? dit-il aussitôt. Cet après- midi, es-tu libre ?

�� �