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i;2 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

aussitôt il s'arrêtait, quel que fût le sujet, l'œil en éveil ; on devinait qu'il brûlait de donner son avis, comme s'il eût possédé un trop-plein d'argumentation.

Il recherchait surtout la compagnie des professeurs. Lorsque le roulement de tambour annonçait la brève pause qui coupe les classes et que tous nous nous précipitions dehors, il n'était pas rare qu'il s'approchât de la chaire d'une manière insinuante ; et ayant soumis habilement une question au professeur, il se mettait à causer avec lui. Puis, il nous regardait rentrer, du haut de l'estrade, avec un air de fierté. Je l'admirais à ces moments, pensant combien à sa place j'eusse été gêné.

On ne tarda pas à s'apercevoir que Silbermann était non seulement capable de rester en troisième, mais qu'il pren- drait rang probablement parmi les meilleurs élèves. Ses notes, dès le début, furent excellentes et il les mérita autant par son savoir que par son application. Il paraissait doué d'une mémoire singulière et récitait toujours ses leçons sans la moindre faute. Il y avait là de quoi m'émer- veiller, car, élève médiocre, j'avais une peine particulière à retenir les miennes. J'étais d'une insensibilité totale devant tout texte scolaire ; les mots sur les livres d'étude avaient à mes yeux je ne sais quel vêtement gris, uniforme, qui empêchait que je pusse distinguer entre eux et les saisir.

Un jour, pourtant, le voile se déchira, une lumière nou- velle fut jetée sur les choses que j'étudiais ; et ce fut grâce à Silbermann.

C'était en classe de français. La leçon apprise était la première scène d'iphigénie. Silbermann interrogé, se leva et commença de réciter :

Oui, c'est Agamemnon, c'est ton roi qui t'éveille. Viens, reconnais la voix qui frappe ton oreille.

Il ne débita point les vers d'une manière soumise et monotone, ainsi que faisaient la plupart des bons élèves.

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