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tâchant de découvrir les raisons de l’enthousiasme de certains et celles de mon désappointement : il faut être prudent avec Stravinsky ; n’est-ce pas une révélation nouvelle ?

Stravinskv essaye ici, comme il nous l’a déclaré lui-même expressément, de remonter aux sources de la musique russe : ce ne sont plus les chants populaires où depuis Glinka jusqu’à Stravinskv lui-même tous ont puisé, ce n’est plus l’art paysan, c’est la romance sentimentale des compositeurs pre-glinkiens, de Verstovsky, de Dargomyjsky, de Glinka lui-même, l’art des salons et des gentilhommières : le style italien s’y trouve pro- fondément déformé par le goût russe qui se cherche encore, mais a déjà des trouvailles délicieuses. Ce vieux style italo-russe subit chez Stravinsky une nouvelle déformation que j’appel- lerais négro-américaine : ce sont des rythmes syncopés, con- vulsifs, un orchestre où dominent les cuivres, des crudités harmoniques qui se plaquent bizarrement sur la ligne mélodi- que. Il en résulte un ensemble curieux, très amusant parfois, très intéressant aussi musicalement, mais qui, bien que sa durée ne dépasse pas une trentaine de minutes, finit tout de même par lasser.

Quel que soit le point de départ de l’artiste, quelle que soit la source où son caprice veuille s’abreuver, le résultat seul nous importe. : Stravinsky n’a pas réussi ce nouveau coup d’essai. En effet, l’impression générale est celle d’un pastiche, d’une sorte de plaisanterie musicale dont le principal défaut serait de n’être pas suffisamment plaisante. Mais tel n’est certainement pas le dessein de Stravinsky : il s’agit d’infuser un sang nouveau à d’anciennes formes, il s’agit probablement de rénover ces formes, de créer ainsi un nouveau style d’opéra-comique. En ce cas le sujet est trop mince, trop fragile : il s’effrite en poussière sous son riche revêtement musical, où les deux styles — italo-russe et négro-américain — ne parviennent pas à se fondre et se gênent mutuellement.

La partie vocale, d’une grande difficulté, fut excellemment réalisée par MM nies Slobodskaïa, Sadovenn et Rosovska et par M. BeLina ; mais l’orchestre sous la direction de M. Fitelberg me parut souvent trahir les intentions de l’auteur : il fut lourd, épais, inutilement expressif et insuffisamment rigoureux.

C’est l’orientation nouvelle de Stravinsky probablement qui