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qui a composé les danses de Renard, à Larionov qui en a dessiné les décors, les costumes ce n’est nullement de n’avoir pas réussi la réalisation scénique de l’œuvre, c’est de n’avoir pas compris que cette réalisation était impossible. Si puissante, si riche, si bien bâtie est cette musique aux rvthmes complexes, mais rigoureux, implacables, aux sonorités nettes et tranchantes, que le geste, l’image visuelle en la déterminant ne peuvent que l’appauvrir.

Il y a des livres qui ne supportent pas l’illustration justement parce qu’ils sont trop suggestifs ; il en est de même de certaine musique, de celle de Renard en particulier : elle ne supporte pas d’être dansée ou mimée, parce qu’elle est trop essentiellement musique.

On a souvent répété que la musique n’est capable de provoquer en nous que des états de conscience plus ou moins vagues, indistincts, flous… Il n’y a rien de plus faux et l’on confond ici « vague » avec « indescriptible » : ce que je sens lorsque j’entends Renard est parfaitement clair, distinct ; c’est un état psvchologique spécifique, infiniment riche et complexe, et qui ne se résoud au brouillard que lorsque j’essaie de le fixer au moven de la parole ou de l’image visuelle.

L’échec de Renard, en tant que ballet, n’est qu’une réplique de celui du Bouffon de Prokofieff, la saison passée : il se répète, cet échec, chaque fois qu’on essaye d’illustrer, d’exprimer par le geste, l’attitude, les formes colorées, une musique suffisamment puissante en elle-même, pensée et construite conformément aux affinités spécifiques du monde sonore. On n’applique pas une danse à une musique parce qu’on n’aboutit ainsi qu’à une limitation, à un appauvrissement, mais on enrichit au contraire la danse, on intensifie, on élargit sa signification en lui adjoignant une musique qu’elle ne cesse de régir et qui ne peut prétendre ainsi qu’à un rôle secondaire. C’est en somme le principe du ballet dit classique.

Dans Mavra, au contraire, le musicien s’est soumis à son texte (qui appartient à un jeune poète, M. Kokhno, d’après un petit poème badin de Pouschkine) ; aussi l’œuvre gagne-t-elle beaucoup à la scène.

Ne me fiant pas à ma première impression, nettement défavorable, j’ai été encore entendre et voir Mavra cinq ou six fois,

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