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sympathies et ces antipathies forment une critique presque sentimentale de l’établissement des Communes écrite avec une rare mauvaise foi. On peut trouver beaucoup d’agrément à rencontrer la mauvaise foi ; car un écrivain ne se livre jamais si complètement que lorsqu’il l’emploie. Savoir quels sont les sentiments de Gobineau à l’égard des bourgeois de la commune de Typhaines, c’est connaître seulement de lui une attitude provisoire ; le voir ignorer volontairement une partie de l’histoire pour ne point risquer d’être en contradiction avec elle, c’est le trouver dans celle qui fut le plus souvent la sienne. Chez les écrivains « à système » le point sur lequel s’exerce la mauvaise foi permet presque toujours de découvrir la forme de sensibilité qui est la cause de la formation de leur système ; et qui, plus que Gobineau, s’attacha aux systèmes qui sont des justifications de sensibilité ! D’aucuns écrivent pour se défendre contre eux-mêmes ; Gobineau écrivit pour trouver dans son œuvre de nouvelles preuves de la supériorité sur les autres races d’une race qu’il aimait. Il ne cherchait pas s’il était raisonnable de croire ce qu’il croyait, mais seulement à réunir les arguments qui pouvaient faire croire que cela était raisonnable.

L’Abbaye de Typhaines le montre dissocié, je dirais presque dévoilé : plus entêté que tenace, mais surtout énergique. On pense à Stendhal, avec qui Gobineau eut en commun le goût de l’énergie et une antipathie extrême de la forme romantique ; car l’Abbaye de Typhaines n’est presque jamais écrite en « tirades». C’est une Chartreuse de Parme inférieure, solide néanmoins, et l’un des rares romans romantiques que nous puissions lire sans aucun ennui et sans trop d’ironie.

ANDRÉ MALRAUX

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LE JEU DE MASSACRE, par Tristan Bernard (Ernest Flammarion).

La collection de petits récits que M. Tristan Bernard a réunis sous ce titre, n’est pas, à proprement parler, un recueil de contes. C’est plutôt une série, non de caractères, mais de traits de caractère, presque tous terminés par une pointe qui les complète, a peut-être provoqué leur choix, mais n’est pas rigou-